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Sakiet Sidi Youssef
Il y a cinquante-quatre ans, le 8 février 1958
Publié dans La Presse de Tunisie le 08 - 02 - 2012


Par Omar KHLIFI(*)
Le prélude : deux ans après l'indépendance, le 11 janvier 1958, à l'aube, une section de soldats français composée de 50 hommes, commandée par le capitaine Allard, effectuait une mise en place en territoire algérien à Djebel El Koucha, à six kilomètres du village tunisien de Sakiet Sidi Youssef, en vue de tendre une embuscade aux moudjahidine algériens.
Les éléments de tête détectaient deux moudjahidine en tenue militaire et armés. Ils se lancent à leur poursuite. En fait, c'était un piège. Ils essuyèrent un feu intense de la part d'éléments de l'Armée de libération nationale (ALN) qui submergèrent la section française qui dut battre en retraite, subissant de lourdes pertes, laissant sur le terrain 15 tués et 5 prisonniers. Le combat n'a pris fin que vers 10h30 avec l'intervention de l'aviation.
Les autorités françaises d'Algérie accusèrent la Tunisie de complicité en arguant que les «rebelles» se sont repliés en territoire tunisien avec l'aide de la Garde nationale tunisienne. Ainsi, prétendent-ils, l'acte de co-belligérance de la Tunisie se trouve établi. Ils insistèrent auprès de leur hiérarchie pour élever une protestation énergique auprès du gouvernement tunisien.
Christian Pinau remit le 13 janvier 1958 à Mohamed Masmoudi, ambassadeur de Tunisie en France, une note de protestation : «Il s'avère, dit-il, qu'une fois de plus, la Tunisie a servi de base de départ et de repli à des éléments rebelles… Le gouvernement français demande que lui soient restitués les cinq militaires emmenés en territoire tunisien… Les graves conséquences qu'auraient aussi bien le renouvellement d'actions du genre de celle qui fait l'objet de la présente note, que le défaut de restitution immédiate des cinq militaires disparus…». Sadok Mokadem répond que «…les éléments de la Garde nationale aperçus n'étaient pas des éléments de soutien destinés à recueillir les Fellagas, mais des unités dépêchées au reçu de la nouvelle de l'accrochage pour couvrir la frontière et en interdire le passage. Le secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères tunisien ne peut, dans ces conditions, accepter la note française tant en ce qui concerne le contenu que les termes…». La France envoie à Tunis deux émissaires, dont le général Buchalet, pour expliquer à Bourguiba certaines nécessités militaires, insistant sur la gravité de la situation à la frontière algéro-tunisienne et sur ses incidences éventuelles. Le président Bourguiba refuse de recevoir le général français dont il estimait la venue durant cette période de tension comme une pression et un chantage inadmissible. Georges Gorse informe le Palais de Carthage que le général Buchalet maintient sa demande d'audience et quittera Tunis le lendemain dans le cas où l'entrevue ne serait pas obtenue. Bien entendu, devant ce nouveau chantage, Bourguiba refusera de nouveau de les recevoir. L'ambassadeur et les deux envoyés quitteront Tunis par le premier avion.
L'agression : la rupture est consommée. Les relations en étaient là, quand survint, le 8 février 1958, le nouvel et grave incident de Sakiet Sidi Youssef en territoire tunisien.
Un avion de reconnaissance français survolant la frontière algéro-tunisienne aurait été pris à partie par des armes automatiques venant du territoire tunisien. Touché, il fut contraint d'atterrir à Tébessa en Algérie. C'était l'occasion attendue pour en découdre avec cette Tunisie qui osait protester contre la présence des militaires français et qui, surtout, permettait aux maquisards algériens d'avoir des bases à partir desquelles ils traversaient la ligne électrifiée «Maurice» pour se battre en Algérie contre l'occupant colonialiste. Les autorités militaires d'Alger donnent l'ordre de déclencher une action aérienne de grande envergure contre le village frontalier de Sakiet Sidi Youssef menée par onze B26, six Corsaires et huit Mistral.
Avant l'attaque, Robert Lacoste, gouverneur de l'Algérie, était comme par hasard en visite dans le secteur commandé par le colonel Bigeard, près du théâtre des opérations à la frontière tuniso-algérienne. Pour des raisons évidentes et afin de ne pas gêner le gouvernement français, Robert Lacoste prétendra qu'il n'a appris la nouvelle du raid de représailles contre Sakiet Sidi Youssef qu'au moment de reprendre l'avion pour Alger. Mais, devant les répercussions négatives de l'opinion internationale, il couvre les militaires avec l'accord de Jaques Chaban-Delmas, ministre de la Défense, en plaidant la légitime défense. Malgré la réalité sur le terrain, constatée par tous, les autorités militaires françaises continuèrent ouvertement à nier par des communiqués et en utilisant certains médias complaisants, l'importance des destructions. Le général Salan minimise les dégâts en affirmant que seuls les objectifs militaires furent atteints. Pourtant, le ministère des Affaires étrangères français reconnaît, par une note interne, que Sakiet fut au trois quarts détruit, qu'une école fut rasée, que des camions de la Croix-Rouge internationale et du Croissant-Rouge tunisien ont été gravement endommagés. Le bombardement sauvage du village, un jour de marché, a fait 74 morts, dont 22 enfants, 11 femmes et 102 blessés.
Le jour même de l'attaque du village de Sakiet, Bourguiba prononce un discours à Tunis et déclare qu'il a été décidé que tout mouvement des troupes françaises sur le sol tunisien serait soumis à une autorisation préalable, et que l'évacuation de la Tunisie par les troupes françaises devient une nécessité impérieuse. La bataille de l'évacuation, deux ans après l'indépendance, commence. Nous entendons que cette évacuation soit totale, Bizerte comprise.
Mandès-France a reconnu, dans une déclaration faite à la suite des incidents de Sakiet, que de tels agissements ne pouvaient que compromettre très gravement la réalisation souhaitée d'une communauté solide entre la France et l'Afrique du Nord. Aux Etats-Unis, Foster Dulles a convoqué l'ambassadeur de France pour lui faire part de la vive inquiétude du gouvernement américain. A Londres, l'incident a produit une impression pénible et par-delà les conséquences susceptibles d'en résulter pour les relations franco-tunisiennes, on s'est inquiété d'un alignement du nationalisme algérien sur Le Caire et Damas. À Moscou, les instigateurs de l'action furent qualifiés de pirates de l'air et la responsabilité des Etats-Unis lourdement engagée et soulignée.
Les relations diplomatiques sont rompues. La Tunisie rappelle son ambassadeur à Paris. Mohamed Masmoudi quitte Paris le 10 février après une entrevue avec M. Jox et une visite au général de Gaulle, encore dans sa retraite de Colombey-les-Deux-Eglises qui lui dit que «Français et Tunisiens ne doivent pas insulter l'avenir». Le gouvernement tunisien décrète l'interdiction de tout mouvement des forces françaises se trouvant en Tunisie, sauf pour les déplacements d'unités rejoignant un port d'embarquement. Des barrages, tenus par les gardes nationaux et des éléments civils, furent mis en place et les circuits téléphoniques avec les centraux militaires coupés. Les consulats français de Gafsa, Souk El Arbaâ, Medjez El Bab et la chancellerie du Kef furent fermés. Le chargé d'affaires français s'est efforcé de rechercher avec le gouvernement tunisien un modus vivendi permettant d'assurer le ravitaillement des unités. Il s'est heurté à une fin de non-recevoir absolue de la part de Béhi Ladgham qui l'informe que l'interdiction de mouvement sera maintenue intégralement jusqu'à l'établissement d'un calendrier d'évacuation.
Les troupes françaises en Tunisie, du Nord au Sud, se trouvèrent ainsi dans une situation intenable. Toute liberté de mouvements terrestres, aériens et navals leur était interdite. Des barrages sont installés devant toutes les issues des garnisons gardées par des soldats, des éléments de la Garde nationale, ainsi que des civils. Partout la population est solidaire. Les familles apportent des victuailles et du café à ceux qui passent la nuit sur place et les soutiennent en veillant avec eux. Le quartier général du général Gambiez à Salammbô, dans la banlieue nord de Tunis, est soumis aux mêmes conditions. Personne ne peut y entrer ou en sortir.
Le 16 février 1958, l'intervention du secrétaire général de l'ONU, Dag Hammarskjöld, permit d'établir un accord pour permettre le ravitaillement des garnisons françaises encerclées. Cette entente a été dans l'ensemble respectée jusqu'aux incidents de Remada du 18 mai 1958. Pour la France, l'incident de Sakiet risque de conduire à l'internationalisation de l'affaire, chose qui n'est nullement souhaitée par Paris à cause des éventuelles répercussions sur le problème algérien. L'ambassadeur de Tunisie à Washington a remis le 9 février une lettre à Hammarskjöld lui donnant la version tunisienne de l'incident et présentant l'affaire comme une agression préméditée. Mongi Slim a précisé au secrétaire général de l'ONU que la Tunisie avait «en principe» décidé de saisir le Conseil de sécurité. Devant l'aggravation de la situation et craignant le pire, les amis des deux camps voulurent calmer le jeu. Pour faire baisser la tension, ils chargèrent l'Américain Robert Murphy et le Britannique Harold Beeley d'une mission de bons offices entre Paris et Tunis.
Le gouvernement éprouve encore, en effet, certaines hésitations qui s'expliquent par la crainte de voir le bloc soviétique, si l'affaire est débattue aux Nations unies, apporter à la cause tunisienne un soutien que Bourguiba redoute. Il craint d'être entraîné par une certaine fraction du Néo-Destour qui penche vers le bloc oriental et il a le souci de ménager l'opinion américaine dont il escompte fermement l'appui. Pour le gouvernement tunisien, la bataille de l'Evacuation est engagée d'une manière irréversible. Pour cela, il fut décidé de ne pas encourager les forces françaises à prolonger leur stationnement. Si les troupes d'occupation tentent de sortir de leur casernement en forçant les barrages, la Tunisie serait en état de légitime défense et ripostera en usant de toutes les forces à sa disposition. Il est impossible d'admettre l'implantation de forces étrangères à Bizerte. Cette base doit être également évacuée. Telles sont les directives des autorités tunisiennes. Encerclées durant cinq mois, les troupes françaises restèrent dans leurs cantonnements à travers tout le pays. Les ultras d'Alger ne cachent pas leurs intentions belliqueuses vis-à-vis de la Tunisie qu'ils accusent, ouvertement, d'armer, de soutenir et d'accorder des bases arrière à l'Armée de libération algérienne, pour attaquer les départements français d'Algérie. Pour corser le tout, le FLN algérien annonce, à partir de Tunis, la condamnation à mort et l'exécution de trois des cinq soldats français capturés par les maquisards algériens. Les généraux Salan et Massu firent savoir qu'ils n'hésiteraient pas à donner l'ordre de franchir la frontière tunisienne. Faut-il rappeler que huit mois après l'indépendance de la Tunisie, lors de l'acte de piratage et l'interception par l'aviation française, le 22 octobre 1956, de l'avion de Ben Bella et de ses compagnons, en route pour Tunis, la profonde indignation de l'opinion publique dans tout le Maghreb poussa, par défi, le président Bourguiba à réagir contre cet affront, en proclamant officiellement qu'il donnait asile à l'armée de libération nationale algérienne sur le sol tunisien. Le gouvernement français décide alors la suspension de son aide financière et ses livraisons d'armes à l'armée tunisienne.
Le 12 juin 1958, devant la position intransigeante de la Tunisie et après plusieurs mois de pression et d'isolement des garnisons de l'armée française, les autorités de Paris plient et n'ont d'autre solution que de céder aux exigences tunisiennes. Elles donnent des instructions officielles à leur représentant en Tunisie, affirmant que le gouvernement français confirmait son intention de procéder au retrait de ses forces stationnées en Tunisie, à l'exception de celles de Bizerte. En attendant un accord global. La 826e séance du Conseil de sécurité, consacrée à la poursuite des débats sur la plainte tunisienne, s'est ouverte le 18 juin 1958. Mongi Slim déclara que les deux gouvernements étaient parvenus à un accord prévoyant l'évacuation dans les quatre mois des forces françaises à l'exception de celles de Bizerte. Avec cette amorce de détente, M. Gerges Gorse, ambassadeur de France à Tunis, rejoint son poste après plus de quatre mois d'absence. Ce chapitre clos provisoirement devait déboucher inéluctablement dans trois ans, le 19 juin 1961, sur la bataille de Bizerte. Le 14 octobre 1963, le contre-amiral Vivier, dernier commandant de la base de Bizerte, signe l'ordre du jour «…La mission à Bizerte des forces françaises prend fin…». Six mois plus tard, le 12 mai 1964, Bourguiba ratifia au cours d'une cérémonie solennelle, à Dar El-Saâda, à La Marsa, sur la même petite table ronde qui avait servi, jour pour jour, à la signature par Sadok Bey (1814-1882) du traité du 12 mai 1881 instaurant le protectorat français sur la Tunisie, un décret nationalisant les terres agricoles détenues par les colons. Ainsi la libération nationale est parachevée. C'est, en effet, le 14 mai 1964, pour la première fois depuis 83 ans qu'aucun soldat étranger ne stationne sur le sol national.
L'affaire de Sakiet Sidi Youssef fut l'un des nombreux jalons qui scellèrent la fraternité tuniso-algérienne.
* (Cinéaste-historien)


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