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Le Véritable sens de la souveraineté (II et fin)
Bizerte ou la dernière bataille de l'évacuation militaire (20 mars 1956/ 15 octobre 1963)
Publié dans Le Temps le 16 - 10 - 2011


Nos soldats tombés sur le champ d'honneur
La mort du commandant Béjaoui, homme valeureux et courageux, a été vécue comme un drame national. Voici le témoignage de son ministre de la défense :
« Le Commandant Béjaoui était un soldat courageux, expert dans l'artillerie .C'était quelqu'un de très bien. C'est un épisode malheureux. Je l'aimais beaucoup et j'ai perdu en lui quelqu'un d'aussi cher qu'un fils. Mais la question n'était pas alors affective; Il est venu me retrouver en pleine nuit en civil. Il m'a avisé qu'il ne pouvait pas passer.
Je l'ai renvoyé à son poste avec mission de reprendre contact avec les autres. Il m'a dit que c'était dur et non pas, par exemple, que notre plan ne tenait pas .Du reste, c'était trop tard. Et puis, il y avait là- bas d'autres officiers avec lesquels il devait aviser. Il avait au départ admis le plan en tant que représentant d'un corps d'armée essentiel.
Je lui ai demandé si sa place était dans mon bureau ou sur le terrain. « Là-bas » m'a-t-il répondu ; Il est repassé chez lui à Salammbô, a pris une douche, s'est remis en civil. Il a dit à sa mère : « Si El Behi ne m'a pas compris. Il m'envoie à la mort ». Il repartit sur Bizerte et se mêla à des escouades de résistants qui dans les artères de la ville tiraient à la mitraillette sur les troupes françaises. Il fallu à ces dernières les canons des blindés pour en venir à bout ».
D'autres soldats non moins valeureux sont morts sur le champ de bataille ou mortellement blessés, tel le lieutenant Aziz Tej, officier intelligent et cultivé, il a partagé sa chambre au service de chirurgie de l'hôpital Charles Nicolle de Tunis, avec un autre blessé, mais lui français journaliste de gauche et jeune correspondant de guerre. Il s'agissait du non moins célèbre Jean Daniel.
Jean Daniel relata cet épisode dans un de ses livres où il décrivait Aziz Tej blessé gravement au foie, qui, pris d'un délire pré mortem, philosophait sur de la mort et sa signification.
En comptant les morts dont le nombre officiel est 670 (égale parité entre civils et militaires), et environ 1000 blessés recensés, chiffres proches du chiffre réel selon les experts, les autorités tunisiennes ont découvert outre les corps calcinés au napalm, des corps les poignets liés, d'autres mutilés avec des inscriptions et des croix tracées sur le corps. D'autres exactions ont été signalées consistant à des vols et des braquages de citoyens par quelques éléments parachutistes.
L'aviation française est allée jusqu'à simuler une attaque sur Tunis en larguant des fusées éclairantes sur l'aéroport militaire d'El Aouina et tirant sur ses installations, la DCA tunisienne répliquant en tirant à balles traçantes de gros calibre; dans cette guerre psychologique certains militaires français ont voulu faire croire à une attaque imminente sur le palais d'Essaada à la Marsa, lieu de résidence du président Bourguiba, incitant son service de sécurité à le mettre par précaution en lieu sûr.
Alors que dans le sud, les forces tunisiennes sous le commandement du colonel Kortass, ont vite avancé et occupé Fort Carkoué (Borne 233) à l'extrême sud Tunisien.
La bataille diplomatique
Des le 20 juillet la Tunisie a rompu ses relations diplomatiques avec la France et Bourguiba de déclarer dans son point de presse quotidien : « c'est une guerre totale et déséquilibrée, menée contre des civils et des éléments de la garde nationale, et non contre une armée régulière et organisée ».
Certains journaux français de gauche, comme Libération et l'Humanité ont dénoncé, « l'agression française contre un peuple sans défense », ce qui provoqué, fait rare, leur saisie par le ministre français de l'intérieur.
Saisi par la Tunisie le Conseil de sécurité de l'ONU, a décidé le 22 juillet, un cessez le feu immédiat et un retour des forces militaires aux positions d'avant le début du conflit. Accepté immédiatement du coté tunisien, alors que les forces françaises ont continué leurs attaques meurtrières, pendant encore 24 heures jusqu'à qu'un accord soit conclu entre Mongi Slim et le représentant français à l'Onu. Mais son application n'a pu être mise en place qu'à la suite de longues négociations entre Hédi Mokadem adjoint du gouverneur Bellamine absent de Bizerte, et coté français, le consul de France à Bizerte et l'amiral Amman.
Des le 24 juillet, le secrétaire général de l'Onu, Dag Hammarskjöld, a été reçu à Tunis, par Bourguiba, Bahi Ladgham et Sadok Mokadem, provoquant le courroux des autorités françaises, qui ont infligé une série d'humiliations au représentant onusien lors de son déplacement vers la ville assiégée, accompagné de Béji Caïd Essebsi; d'abord en fouillant sa voiture par les paras français sur sa route à l'entrée de Bizerte, ensuite par le refus de l'amiral Amman de le rencontrer, et enfin les attaques directes du gouvernement français l'accusant de subjectivité et de soutien aux tunisiens. Considérant que le ton de la lettre adressée de Tunis, par le secrétaire général des nations unis, au ministre français des affaires étrangères, lui demandant en substance de faire appliquer la résolution du conseil de sécurité au sujet du retrait de troupes à leur point de départ d'avant les hostilités, était de nature à prendre parti des tunisiens.
Des le retour de Hammarskjöld à New York, un nouveau débat au conseil de sécurité à la demande 40 pays afro-asiatiques plus la Yougoslavie a eu lieu du 28 au 30 juillet, sans aboutir à faire appliquer par la France la résolution du 22 juillet.
Parallèlement à New York, une action diplomatique tous azimuts a été lancée, Habib Chatti en Inde et au Pakistan, Rachid Driss en Amérique Latine et Sadok Mokadem en URSS et Europe centrale où il a été reçu par Kroutchev et Gromyko, qui l'ont assuré du soutien de leur pays « votre visite à Moscou va pousser les américains à vous octroyer plus de faveur dans la résolution de cette crise » a confié le secrétaire général de du PC soviétique au ministre tunisien aux affaires étrangères.
Bahi Ladgham, quant à lui s'est rendu à Washington où il rencontré le 2 aout le secrétaire d'état Dean Rusk et le président John F. Kennedy, auprès duquel il a trouvé bon accueil, cordialité et compréhension, contrairement à ce qu'a prétendu Souhaïr Belhassen et Sophie Bessis, Kennedy a même dit : « Personne ne connait la complexité et la difficulté de nos relations avec la France, nous avons avec eux des différends sur l'OTAN et leurs essais nucléairesD'autre part nous ne voulons pas que le président Bourguiba perde sa position privilégiée en Afrique, et nous ne sommes pas tranquilles sur les implications de cette crie sur la situation en Algérie et en France même. La France n'apprécie pas le transport des troupes tunisiennes revenant du Congo vers la Tunisie, par nos avions militaires Nous allons continuer nos efforts, et nous espérons que le président Bourguiba comprenne bien notre position parce que nous marchons sur un terrain difficile ». En accompagnant son hôte, Kennedy le rassura devant l'ascenseur : « Dites au président Bourguiba que les Etats Unis tiennent à la sécurité et la stabilité de la Tunisie, que nous considérons parmi nos amis les importants en Afrique »
Rapidement Mongi Slim à New York a commencé les contacts en vue d'une session spéciale de l'assemblée générale de l'ONU pour examiner la plainte tunisienne, et les réponses ne se sont pas fait attendre, puisque 50 pays ont répondu dont le groupe afro-asiatique, 7 pays d'Amérique latine (Argentine, Brésil, Bolivie, Cuba, Mexique, Uruguay et Venezuela) et 3 européens (Finlande, Suède et Turquie).
Avant la réunion qui a été décidée pour le 21 aout, et pour consolider sa démarche à l'ONU, le gouvernement tunisien décida d'une marche pacifique à travers Bizerte, passant par la zone occupée par les paras français, pour arriver au siège du gouvernorat. Elle a lieu le 18 aout avec à sa tête le Dr Rachid Terras, le maire de la ville, Slaheddine Ben Jaafar, le président du tribunal de première instance, Taieb Tekaya, et Nouri Boudali. Apres des tractations et des négociations, sur un fond de tension permanente qui a duré toute la nuit, la marche pacifique a enfin atteint son but, le siège du gouverneur. Ce succès local a été suivi d'un autre succès international, celui d'obtenir la reconnaissance de la communauté internationale le 25 aout, du « droit de la Tunisie à la souveraineté sur son territoire, compris le droit de demander le départ des troupes étrangères stationnées sur son territoire contre son gré ». Par 66 voix pour, zéro contre et 33 abstentions dont les Etats Unis et Israël, la France s'étant absentée lors du vote, la résolution a été adoptée. Cette victoire, a donné lieu à des spectacles de liesse populaire dans toute la Tunisie, où les inscriptions murales donnaient l'impression d'un score fleuve, au cours d'une rencontre de Basket Ball (Tunisie 66 France 0).
Le sommet des non alignés
Le sommet des non alignés (1-6 septembre à Belgrade) sous la présidence du maréchal Tito et le soutien total de Nasser, a été un succès complet pour Bourguiba. Il a mis à profit cette victoire pour accepter le petit mot de Gaulle qui venait de déclarer à Paris, qu'il reconnaissait la souveraineté tunisienne sur Bizerte et annonça qu'il fallait créer une nouvelle situation basée sur un « modus vivendi ». C'est ce modus vivendi qui ouvra la voie à de nouvelles négociations sur le terrain avec l'échange classique de prisonniers et le retour des troupes française à leurs casernements. Ces négociations ont été menées, coté tunisien par Béji Caïd Essebsi, Hédi Mokadem et les capitaines Noureddine Boujallabia et Abdelhamid Echeikh., et coté français le consul général français à Bizerte et quelques officiers français appartenant à la base.
D'autres réunions à Rome, ont réuni Taieb Sahbani (Secrétaire général du ministère des affaires étrangères) et le directeur français des affaires marocaines et tunisiennes au quai d'Orsay ont ouvert la voie à une rencontre directe à Paris, entre Bahi Ladgham et Sadok Mokadem avec Michel Debré (premier ministre) et Maurice couve de Murville (Ministre des affaires étrangères). Mais l'entrevue entre les deux numéros 2, le 15 janvier 1962, a été parmi les plus courtes et les plus tendues, où Debré hautain demanda à son interlocuteur : « que veut votre gouvernement ? »
Bahi Ladgham encore plus sèchement : « la liquidation de la base de Bizerte »
Michel Debré : « ah! Cela n'est pas possible »
Bahi Ladgham : « dans ce cas, nous n'avons plus rien à nous dire »
Michel Debré : « En effet ! »
Deux mois plus tard, le 19 mars, la France et le GPRA signaient à Evian un accord de cessez le feu, ensuite le référendum, puis l'indépendance de l'Algérie le 5 juillet 1962.
Alors plus rien ne retenait la France à Bizerte, il ne resta plus qu'à mettre « les couteaux au vestiaire ». C'est dans ce contexte que de Gaulle reçut Bahi Ladgham à l'Elysée le 19 juillet 1962, un an jour pour jour après le début des hostilités. L'entretien a été cordial, après avoir été tendu au départ, au point où de Gaulle dit à son interlocuteur pour y couper court et détendre l'atmosphère: « Quel bon vent vous amène ? ». La réponse que c'était le vent de l'amitié, pour effacer toute trace du passé douloureux. Le général assura l'émissaire tunisien de sa volonté de régler la question de Bizerte, mais sans donner de date, il s'est contenté de dire : « Dites à Monsieur Bourguiba que j'ai aussi mes ultras, nos forces quitteront Bizerte, sans contre partie et sans esprit de retour,.. Je donnerai à M. Bourguiba la date de départ de nos troupes dans dix-huit mois ».
Couve de Murville proposa alors, au tunisien d'annoncer le projet d'évacuation, ce que les français ne démentiraient pas. Ce qui fut fait, une déclaration a été lue par Bahi Ladgham, à son départ d'Orly :
Au terme de mes entretiens à Paris, je suis en mesure de déclarer qu'un pas positif a été accompli vers la normalisation des rapports entre la Tunisie et la France. En effet, le Général de Gaulle m'a solennellement confirmé la volonté du gouvernement français de régler le problème de Bizerte définitivement et dans le sens souhaité par le gouvernement tunisien.
Tant au cours de mon entrevue de jeudi dernier avec Monsieur le Président de la République française que de mes conversations avec messieurs Georges Pompidou et Maurice Couve Murville, j'ai reçu des assurances formelles que le processus de retrait des forces stationnées dans la région de Bizerte ,déjà achevé en ce qui concerne l' arsenal de Menzel Bourguiba et ses dépendances, sera poursuivi et mené à son terme aussi rapidement que possible et dans des délais raisonnable. C'étant, nos deux pays pourront, alors, sans équivoque, fonder leurs rapports sur des bases plus saines et consolider les liens de leur coopération dans la confiance retrouvée. Dans ces conditions, et pour favoriser la mise en œuvre des tâches que les deux gouvernements se proposent d'accomplir dans leur intérêt mutuel, il n'y a plus d'obstacle au rétablissement de nos relations diplomatique. Je me félicite enfin d'avoir trouvé, auprès du Général de Gaulle ainsi des membres du gouvernement français que j'ai rencontrés, une haute compréhension des problèmes évoqués et le sincère désir de régler définitivement les difficultés qui subsistent.
Les relations diplomatiques et culturelles interrompues depuis un an ont été reprises, et pour donner plus de poids à ces nouveaux rapports, le ministre des affaires étrangère Sadok Mokadem fut nommé ambassadeur à Paris. Le nombre d'enseignants français volontairement baissé, coté français, fut repris au même niveau d'avant les hostilités (2400).
Bourguiba était aux anges, les festivités du cinquième anniversaire de la République, le 25 juillet 1962, étaient celles de l'évacuation projetée. Il annonça qu'elle aura lieu avant le congrès du parti destourien, prévu à Bizerte en 1964.
Ainsi de Gaulle a voulu contrôler la chaine de décision militaire, politique et diplomatique, du début jusqu'à la fin. Le président français a voulu en être le maître, commençant par l'ordre de commandement donné pour commencer les hostilités jusqu'à l'évacuation, passant par la non application des décisions de l'ONU, les négociations et la date de départ des forces française.
Enfin l'évacuation
Mais un mois plus tard, les premiers départs avaient commencé, la majorité des installations techniques fut démontée rapidement. Il ne restait plus grand-chose après un an, même le radar du Jebel Kebir a été pris dans les bagages. L'armée tunisienne a été obligée d'en acquérir un autre pour le remplacer. De Gaulle a fait croire qu'il n'allait faire démonter que les installations les plus sophistiquées classée top secrètes, mais il n'en fut rien.
Début octobre 1963, les français ont annoncé leur départ pour le 15, les clés de la base furent remises à la marine tunisienne qui n'avait pas participé aux hostilités. Il n'y eut pas de cérémonie de passation ni de drapeau. Le contre amiral Vivier a quitté le dernier à 16h. L'aviso de la marine tunisienne « la République » l'a escorté jusqu'à sa sortie de la rade de Bizerte.
L'aviso Déstour, quant à lui ayant à on bord Bahi Ladgham accompagné des généraux Mohamed Kéfi et Habib Tabib, et le capitaine de frégate Béchir Jedidi, ainsi que le commandant de la garde nationale Mahjoub Ben Ali, accosta à « la pêcherie » face au mât. L'instant était historique, le drapeau tunisien a été déroulé par des éléments de l'armée nationale, hissé par le ministre de la défense, et salué par la foule présente, chantant Houmet el Hima.
Bourguiba était à l'écoute de la radio nationale qui transmettait la cérémonie en direct, les cours dans les écoles et lycées avaient été suspendus pour suivre le reportage en direct.
Bahi Ladgham, la voix pleine d'émotion : « Monsieur le président, j'ai l'honneur de vous annoncer que l'évacuation des troupes française est terminée, et le drapeau tunisien a été hissé sur le lieu dit de la pêcherie. Je vous félicite pour ce succès, c'est un très grand jour dans l'histoire de la Tunisie » ; Bourguiba, non moins ému : « je vous remercie, que Dieu fasse que la Tunisie ne soit à jamais occupée ! »
Notre liberté enfin retrouvée
La mémoire collective se crée et se cimente, dans les hauts faits d'une nation. La Tunisie du fait de sa géographie a subi l'histoire par les envahisseurs et l'a contrainte à se défendre systématiquement. La seule fois où ses armées ont pris l'initiative ce fut lors de l'épopée carthaginoise avec Hannibal attaquant Rome après avoir traversé l'Europe du sud, et franchi les Alpes.
L'existence de la nation tunisienne, doit se manifester en particulier dans des épreuves communes, comme, celle de la révolution de Ben Ghdahem en 1864, des événements du Jellaz en 1911, ceux du 9 avril 1938, comme ceux de Sakiet Sidi Youssef en février 1958 et ceux de Bizerte en juillet 1961, et plus récemment du 26 janvier 1978 , du 3 janvier 1984 et du 1er octobre 1985, lors de la lâche agression israélienne sur Hammam Chatt en bombardant le quartier général de l'OLP tuant pèle mêle palestiniens et tunisiens.
Enfin la résistance du peuple tunisien durant 23 ans contre une dictature implacable et maffieuse, a été couronnée par la révolution du 17 décembre 2010 au 14 janvier 2011, avec son lot de martyrs et ses blessés, a marqué le couronnement de la lutte nationale pour recouvrer le dernier élément de son indépendance, à savoir : la liberté, la démocratie et la dignité. Tous ces événements historiques entrent dans le cadre de la saga du peuple tunisien. Ce peuple doit s'enorgueillir de son vécu historique et retenir qu'il a combattu pour sa liberté et son émancipation, ses droits politiques et sociaux, aucun exemple de l'histoire ne peut illustrer un gain de liberté sans sacrifice; rien ne se donne tout s'arrache. Le sang tunisien à Bizerte a été versé du fait de l'utilisation d'arme sophistiquées et même prohibées par les conventions internationales. La France a été dans cette bataille la partie agressante, face à des manifestants sans armes ou sommairement armés et ne constituant aucun danger pour les armées françaises lourdement équipées en moyens militaires.
Pour ceux parmi qui par auto-flagellation, ou aversion du pouvoir bourguibien, reprennent à leur compte la thèse coloniale de « la provocation et l'opportunisme Bourguibiens », et c'est leur droit, je demanderai de modérer leur jugement. A mon humble avis, une telle analyse des faits ne devrait guider notre approche, en attendant que l'histoire ne se prononce. Faut-il rappeler que plusieurs témoins et analystes ont relaté dans des ouvrages sérieux et objectifs, l'usage disproportionné de la force du coté français. De Gaulle n'a-t-il pas reconnu à propos de Bizerte que : « c'était un épisode regrettable ». Il est vrai que Salah Ben Youssef a été assassiné en Allemagne pendant cette période, mais là nous faisons face à une autre affaire peu glorieuse du régime bourguibien.
Mais si la responsabilité française est clairement admise dans son volet militaire, l'histoire délimitera celle tunisienne dans la gestion de la crise de Bizerte, une fois les rapports diplomatiques secrets et les archives militaires des deux cotés, mises à la disposition du public ainsi que tous les témoignages recueillis. Cela est possible maintenant, puisque cinquante ans se sont écoulés depuis les faits. A moins que certains éléments ne puissent être divulgués dans le cadre du très classique « secret défense », terme usité pour cacher la vérité. Mais notre démocratie naissante se doit d'être au diapason de la transparence historique.
Sitôt l'affaire de l'évacuation militaire terminée, a été lancé le processus de récupération des terres coloniales, connu sous l'appellation de » l'évacuation agricole », engendrant une nouvelle crise franco-tunisienne qui a commencé en 1964 pour se terminer en 1968, douze ans après l'indépendance. Mais là aussi, il s'agit d'un épisode faisant partie du processus de décolonisation, cher aux pères fondateurs des indépendances des pays du tiers monde. Après cette date, nos relations avec la France n'ont cessé de se s'améliorer et de se consolider. De rapports tendus au départ, nous avons actuellement des relations privilégiées, une coopération fructueuse et une importante colonie tunisienne, vivant en France.
Mais les efforts du peuple tunisien qui s'est tant sacrifié pour recouvrer sa liberté et récupérer ses terres, n'ont pas été couronnés par la nécessaire démocratie. On connait ensuite l'histoire du régime bourguibien, qui s'est effrité par manque de souffle de la cohésion sociale et politique. Heureusement que maintenant les portes sont largement ouvertes pour une évolution démocratique de notre pays, vers plus de justice sociale et plus de bonne gouvernance.
Références :
1 /Amiral Amman : rapport sur « Les opérations militaires du 19 au 23 juillet »
2/Colonel Noureddine Boujallabia : La bataille de Bizerte, telle que je l'ai vécue, Mars 2005
3/Hamadi Ben Saïd : origines et ampleur de la crise de Bizerte, mémoire de sociologie politique, Sorbonne, Paris 1975/1976
4/ Jean Daniel : le temps qui reste, 1974
5/Général Ely : mémoires, 1969
6/Colonel Hmida Ferchichi, témoignage : la vrai bataille de Bizerte, L'action 15 octobre 1977
7/Nicole Grimaud : La Tunisie à la recherche de sa sécurité, 1995
8/Jérôme Hélie : Les accords d'Evian, 1992
9/Omar Khlifi : Bizerte, la guerre de Bourguiba, 2001
10/Bahi Ladgham : rencontres avec De Gaulle, revue Espoir, juin 1992
11/ Bahi Ladgham : mémoires, en préparation
* Professeur de médecine et militant d'Ettakatol , tête de liste à la circonscription de Manouba.


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