• Une femme sur cinq, victime de violence au moins une fois dans sa vie Le sujet est encore tabou. 42% des femmes violentées n'en ont jamais parlé. Par pudeur, par peur ou par résignation, nombre de femmes taisent les violences subies surtout de la part du mari. 73% n'attendent de l'aide de personne si bien que le recours le plus fréquent des femmes violentées est la famille. Près de 18% seulement ont porté plainte. L'ampleur de la violence à l'encontre des femmes en Tunisie, toujours pressentie mais jamais quantifiée, est désormais connue. Les chiffres sont pour les moins alarmants puisque 47,6% des femmes âgées de 18 à 64 ans ont déclaré avoir subi au moins une forme de violence durant leur vie. La première enquête nationale sur la violence à l'égard des femmes en Tunisie, réalisée en 2010 par l'Onfp avec l'appui de l'Agence espagnole de coopération internationale pour le développement et le concours de Cawtar, vient de révéler tous ses secrets. Cela s'est passé hier au cours d'une rencontre organisée par l'Office national de la famille et de la population en présence de M. Abdellatif Mekki, ministre de la Santé publique, de Son Excellence l'ambassadeur du royaume d'Espagne, M. Antonio Cosano Perez, du directeur général de l'Aecid, M. Guillermo Caro et des représentants des ministères concernés, des organisations onusiennes et d'autres gouvernementales et non gouvernementales et de la société civile. Menée auprès d'un échantillon représentatif de la population tunisienne composé de 3873 femmes âgées de 18 à 64 ans, habitant sept régions (District de Tunis, Nord-Est, Nord-Ouest, Centre-Est, Centre-Ouest, Sud-Est, Sud-Ouest), l'enquête, basée sur un questionnaire, révèle que la violence se présente sous diverses formes (physique, psychologique, sexuelle et économique) et que la violence physique est la plus fréquente suivie de la violence psychologique. La violence sexuelle vient en troisième position suivie de la violence économique. Partenaire intime, principal agresseur A travers l'enquête, le partenaire intime (mari, fiancé ou ami) paraît comme le principal agresseur : 47% des cas de violence physique et 68,5% des cas de violence psychologique, 78% des cas de violence sexuelle et près de 78% des cas de violence économique. L'espace intime est désigné par l'enquête comme la première sphère de violence à l'encontre de la femme, suivie de l'espace familial responsable de 43% des cas de violence physique, 22% des cas de violence économique et de 16% des cas de violence psychique. Les espaces publics dont le lieu de travail viennent en troisième position avec 21% des cas de violence sexuelle, près de 15% des cas de violence psychologique et de près de 10% des cas de violence physique. L'enquête indique également que selon le statut matrimonial des femmes, la prévalence de la violence sous toutes ses formes est plus importante à l'encontre des femmes divorcées suivies des femmes mariées. Les femmes non mariées sont les moins agressées. C'est dans la région du sud-ouest que le taux de prévalence est le plus élevé (jusqu'à 72%) alors qu'il est le plus faible dans le Centre-Est (près de 36%). Il ressort des résultats de l'enquête qu'une femme sur cinq a connu la violence physique au moins une fois dans sa vie et une femme sur six a été victime de violence sexuelle. Les raisons invoquées par les femmes interviewées pour expliquer le pourquoi de ces violences placent en première position les difficultés économiques dont le chômage du mari et le faible niveau d'instruction de la femme pour les couples, la jalousie pour les célibataires et souvent l'absence totale de raison pour toutes les femmes. A noter que la prévalence de la violence augmente avec l'âge du partenaire mais diminue quand le niveau d'instruction de ce dernier augmente. Très peu de femmes s'adressent aux ONG Les conséquences de la violence sur la femme sont d'ordre physique, psychique et social. 27% des femmes violentées interviewées mentionnent des difficultés de concentration, 56% des difficultés dans leur vie quotidienne et 2% déclarent avoir abandonné leur travail. Pourtant, beaucoup de femmes ne parlent pas de ces violences, ne se confient pas et ne portent pas plainte, indique l'enquête. 55% des femmes interrogées déclarent que « la violence est un fait ordinaire qui ne mérite pas qu'on en parle ». Toutefois, la peur d'aggraver la situation et la honte d'en parler sont aussi des raisons évoquées mais moins fréquemment. Pour ces femmes, le seul recours est la famille. La proportion des femmes qui s'adressent aux ONG ne dépasse pas 5,4%. Quant à la police et les structures de santé, l'enquête signale qu'ils sont très peu identifiées par les femmes. Pour les professionnels de la santé, les sociologues, psychologues, associations féministes et le ministère des Affaires de la femme, cette enquête est d'une importance capitale. En établissant un état des lieux, le premier du genre, de la violence à l'encontre des femmes et en identifiant les déterminants et les conséquences de la violence ainsi que les profils des femmes les plus exposées et les effets de cette violence sur leur santé et leur vie quotidienne, «il sera possible aux structures concernées et aux associations de prendre en charge ce problème», précise Mme Dorra Mahfoudh, sociologue. Mais non sans l'aide de la femme violentée qui, selon Mme Rim Ben Aïssa, gynécologue et directrice à l'Onfp, doit prendre conscience de l'intérêt d'en parler et de dénoncer. « Si elle n'en parle pas, ce phénomène va continuer», affirme-t-elle tout en insistant sur la nécessité de parler de ce problème et de le démystifier. « Il est inadmissible qu'un peuple qui aspire à la démocratie continue d'occulter ce problème qui concerne la moitié de la société », ajoute-t-elle. Pour la directrice générale de l'Onfp, Mme Habiba Ben Romdhane, l'enjeu est que ce diagnostic de la violence à l'encontre des femmes en Tunisie va nous permettre de mettre au point un plan d'action efficace et de redynamiser la stratégie nationale de lutte contre la violence à l'égard des femmes qui n'a jamais pu être mise en place.