C'était hier le grand jour pour le rassemblement d'un grand nombre de partis de l'opposition sous le signe de «L'appel de la patrie». Le choix de la ville de Monastir plaçait cette rencontre sous le signe de la figure du héros de l'indépendance, Bourguiba. Sur la route de Khenis, il y avait donc foule au niveau du stade couvert qui accueille habituellement les rencontres de basket-ball. Des voitures avaient envahi les bas-côtés de part et d'autre de la route sur plusieurs centaines de mètres, avant et après le stade... Devant les portes, les entrées étaient filtrées... Le clou de cette manifestation, organisée par l'Association de la pensée bourguibienne, était l'allocution de M. Béji Caïd Essebsi, que la salle attendait avec une certaine impatience... Mais cette allocution ne devait avoir lieu que tout à la fin. Au préalable, l'assistance avait eu droit, dans l'ordre, à une bonne heure d'attente, si l'on considère du moins l'heure de début annoncée, mais elle était agrémentée de chants patriotiques dans les tribunes, de slogans divers et même de sifflets hostiles qui ont accueilli l'équipe de télévision de la chaîne Al-Jazeera : au sujet de quoi Béji Caïd Essebsi rappellera plus tard que la règle ici est de n'exclure personne, et surtout pas les médias, quelle que soit leur tendance et même s'ils ne sont pas de son propre bord. L'organisation avait également prévu quelques scènes à caractère symbolique. Khaoula Rachidi, l'héroïne du drapeau, était là, enveloppée du tissu emblématique. Elle a souhaité la bienvenue à l'assistance. Des enfants étaient également là, sur l'estrade, et ont présenté à l'ancien Premier ministre un flambeau : ils avaient fait la route à pied depuis Ksar Hellal, la ville symbole du Néo-Destour et le point de départ de l'épopée bourguibienne... Le premier orateur à prendre la parole parmi les figures politiques fut Kamel Morjane, président du parti El Moubadara, qui a déclaré cependant qu'il parlait plutôt en tant que représentant des destouriens dans leur ensemble. Il a rappelé la centralité de la figure de Bourguiba dans ce rassemblement qui, a-t-il fait remarquer, intervient entre deux dates anniversaires : celle de l'indépendance, le 20 mars, et celle de la mort de Bourguiba, le 6 avril... Mais le bourguibisme, a-t-il poursuivi, ce sont de grands principes de l'action, qui incluent la réflexion et l'éthique, mais aussi la pertinence dans l'application, la distinction entre l'important et ce qui l'est davantage encore... Il a évoqué les thèmes chers à Bourguiba : l'unité nationale, mais aussi la défense de l'identité arabo-musulmane, l'amour de la patrie... Il a rappelé enfin qu'il était mort sans rien posséder sinon sa foi et le sens de la vérité dans la parole et du dévouement dans l'action... Le suivant à prendre la parole à la tribune fut M. Faouzi Elloumi, qui représentait des formations regroupées sous la bannière du Parti national tunisien. C'était un autre écho des destouriens, qui a mis l'accent cette fois sur le sens de l'indépendance et de la souveraienté de la nation et qui a appelé de façon plus explicite à dépasser les divisions en vue de réaliser les objectifs de la révolution... Troisième orateur : Ahmed Néjib Chebbi, qui représente le plus important parti d'opposition qui n'est pas destourien mais qui s'engage manifestement dans une alliance avec les destouriens. «Le Tunisien ne sait plus où va le pays. Il n'y a pas d'investissement, les prix augmentent, le crédit du pays à l'échelle internationale s'érode... a-t-il déclaré. La légitimité électorale ne suffit pas : il faut la capacité à gérer». D'où l'idée évoquée d'un gouvernement d'union nationale qui reposerait sur les compétences... Sans creuser le sens de cette idée, et dans quelle mesure elle pourrait faire l'objet d'une proposition ferme ici et maintenant sur le vaste échiquier politique, il a rappelé la place de Béji Caïd Essebsi : son passé en tant que compagnon de Bourguiba, la confiance dont il jouit auprès du peuple... «Nous allons nous réunir autour de lui !», a-t-il déclaré à l'adresse d'une assistance qui n'en demandait pas tant pour exprimer son enthousisame... Le dernier orateur avant Caïd Essebsi a été Boujemâa Remili, qui parlait au nom à la fois du Pôle démocratique moderniste et d'Ettajdid : «Bourguiba est à tous les Tunisiens, pas seulement aux destouriens», commencera-t-il par dire. Il incarne la société démocratique et tournée vers la modernité, «autour de laquelle nous nous rejoignons malgré la différence de nos horizons...». M. Remili en a profité ensuite pour lancer quelques piques à la Troïka au pouvoir au sujet du fait que certains auraient pris la Tunisie pour un pays du Golfe... Mais une déclaration importante est ici que la manifestation de Monastir pourrait être organisée prochainement «à Gafsa, Kasserine, Sidi Bouzid, Gabès...». Bref, ce rassemblement de Monastir ne serait qu'un début ! Après ces interventions, il y a eu un intermède au cours duquel le représentant du comité de défense de Béji Caïd Essebsi a présenté son action en référence à une action en justice qui a été récemment engagée contre l'ancien Premier ministre en lien avec ses responsabilités au ministère de l'Intérieur dans les années 70. Un poème a également été récité par Lotfi Bouchnaq, en verve ! L'idée-force de l'allocution de M. Caïd Essebsi est que, si nous avons conduit des élections honnêtes et transparentes, nous n'avons ainsi fait que la moitié du chemin et qu'il nous faut créer les conditions de l'alternance. Mais il rappelle au préalable que la révolution a été l'oeuvre de la jeunesse, et que celle-ci l'a menée loin de toute référence idéologique et de tout projet religieux. Il rappelle également que, au moment du passage de témoin au pouvoir élu, il était question que le délai de la nouvelle période de transition serait d'un an... Mais que les signes ne sont pas là qui montrent que le pouvoir actuel respecte ses engagements sur ce point : «C'est notre devoir de le prévenir dès lors qu'il semble oublier ce qui est convenu». Car il y a un travail de préparation au niveau des listes électorales, mais aussi du code électoral... A ce propos, il souligne ce qu'il en a coûté à beaucoup de partis, sous l'ancienne loi, de s'être présentés en rangs dispersés devant les urnes. L'alternance au pouvoir, à laquelle il appelle comme à un accomplissement du processus démocratique, suppose un regroupement. Il évoque les destouriens, mais aussi les partis qui ont été dans l'opposition à l'époque de l'ancien régime et qui sont engagés dans un processus de regroupement entre eux : «Nous les encourageons !» Mais, là aussi, ce ne serait qu'une moitié de chemin, précise-t-il. Il y a les associations, les figures patriotiques, bref : que tous ceux qui veulent participer à la vie politique se regroupent autour d'un ensemble qui se distinguerait par sa position centriste et moderniste, «sans exclusive» ! L'ancien Premier ministre a évoqué ensuite les difficultés de la Constituante à avancer dans la rédaction de la Constitution en raison de la question de la place de la charia, suggérant qu'il serait possible de faire un référendum pour trancher ce point qui bloque le processus... Il a conclu en commentant l'initiative présidentielle de réconciliation entre bourguibistes et yousséfistes : «L'appel à l'unité, c'est bien... Mais on peut dire au président de la République qu'il se rassure : Salah Ben Youssef est parmi les martyrs... Nous avons dépassé tout cela... Que Dieu les bénisse tous...»