• Appel à un régime politique qui s'adapte aux spécificités de la Tunisie • La présidente de l'Association «Liberté et équité» s'étonne de l'absence d'une décision politique claire sur les prisons secrètes en Tunisie Le mode d'élection du président de la République et les prérogatives qui lui seront attribuées ont été au centre des discussions au sein de la commission des pouvoirs législatif et exécutif, hier, à l'Assemblée nationale constituante. Le débat était divisé entre deux orientations: élection du président de la République en mode libre et direct par le peuple, ou son élection par les élus à la majorité des deux tiers. Des constituants ont mis l'accent sur l'importance du régime politique qui sera adopté «et qui déterminera le mode d'élection du président de la République». Pour Walid Bannani (groupe Ennahdha), il est «impératif de choisir un régime qui garantit la stabilité du pays». Il a rejeté l'idée d'opter pour un régime présidentiel ou parlementaire modifié, considérant «qu'il ne sert pas les intérêts du pays». Bannani a plaidé en faveur d'un régime parlementaire «tout en prévoyant des instances constitutionnelles qui mettent fin à la tyrannie et au pouvoir unique d'une quelconque partie». Il s'agira également, a-t-il dit, de mettre en place des garanties au questionnement du président de la République, comme c'est le cas avec le gouvernement, «sans que cela ne limite, pour autant, ses prérogatives». Pour sa part, Ahmed Néjib Chebbi (groupe démocratique) a estimé que «la Tunisie n'est pas obligée de se conformer à un régime politique académique connu, mais peut opter pour un régime qui s'adapte à ses spécificités.» La meilleure garantie pour la séparation des pouvoirs législatif et exécutif, a-t-il affirmé, est de «réaliser un équilibre entre eux, en les faisant élire par le peuple et en contrôlant leur rendement». Chebbi a proposé que le président de la République soit élu par le peuple pour un mandat de 5 ans renouvelable uniquement une fois. «Le gouvernement doit être responsable devant le parlement et non devant le président de la République», a-t-il encore avancé, affirmant qu'il «serait plus judicieux d'avoir deux pouvoirs équilibrés au niveau des prérogatives entre le Président de la République et le gouvernement». Une cour constitutionnelle De son côté, la commission des instances constitutionnelles de l'Assemblée nationale constituante a examiné, hier, au Bardo, les projets des instances qui peuvent être élevées au rang constitutionnel. Les membres de la commission ont examiné 30 propositions de création d'institutions constitutionnelles dont notamment une instance de lutte contre la corruption et la malversation, une instance de contrôle du marché financier, une instance nationale de probité et de prévention de la malversation, une Instance supérieure de l'endettement, une haute autorité de l'information et de la communication audiovisuelle et numérique, une instance supérieure des droits humains et une cour Constitutionnelle. Le président de la commission des instances constitutionnelles Jemal Touir a souligné que devant le grand nombre d'instances proposées, il y a lieu de décider de la priorité à accorder aux instances les plus habilitées à s'ériger à un rang constitutionnel. Y a-t-il des prisons secrètes en Tunisie ? D'autre part, la commission des droits et libertés de l'Assemblée nationale constituante s'est réunie hier avec les présidentes de l'Association «Liberté et équité» Imen Trigui et du Conseil national pour les libertés en Tunisie (Cnlt) Sihem Ben Sedrine. Imen Trigui a évoqué «la poursuite des cas de torture en Tunisie après les élections du 23 octobre et la formation d'un gouvernement légitime», exprimant son «étonnement devant l'absence d'une décision politique claire qui se prononce sur la question des prisons secrètes en Tunisie». Elle a souligné que le comportement de l'appareil sécuritaire n'a pas changé par rapport à l'ancien régime «malgré une volonté affichée de réformer ce secteur et d'améliorer ses rapports avec les citoyens». Elle a assuré qu'elle a été récemment menacée de mort à cause de ses investigations sur les prisons secrètes, affirmant que la Tunisie «est devenue aujourd'hui un champ actif pour les services de renseignements étrangers». Elle a appelé à l'ouverture des dossiers des martyrs de la révolution et à la promulgation des législations y afférentes, ainsi que la réparation des injustices subies par les prisonniers politiques. Pour sa part, Sihem Ben Sedrine a souligné la nécessité d'inscrire dans la nouvelle Constitution un article sur les libertés individuelles, faisant état de menaces réelles sur les libertés en Tunisie par les mouvements extrémistes. Elle a précisé que les propositions du ministère des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle au sujet des dédommagements aux martyrs de la révolution comportent certains aspects «confus». Contrôler la constitutionnalité des lois Pour sa part, la commission de la justice judiciaire, administrative, financière et constitutionnelle issue de l'Assemblée nationale Constituante a invité, hier matin, au Bardo, le juriste Sadok Belaïd qui a fait un exposé sur le contrôle de la constitutionnalité des lois dans le monde ainsi que sur le mode d'application de ce principe en Tunisie. Ancien doyen de la faculté de Droit de Tunis, M. Belaïd a fait état d'un consensus autour de l'impératif de consacrer le principe de contrôle de la constitutionnalité des lois, à travers la création d'une instance judiciaire indépendante dotée d'une autonomie totale et qui aura pour mission de se pencher sur cette question et de défendre les libertés fondamentales. Il a, à cet égard, «estimé difficile de consacrer l'indépendance de cette instance». Il a, également, souligné la nécessité d'opter pour la concertation et le dialogue autour des nominations au sein du Tribunal constitutionnel, dans la mesure où la nomination du président du tribunal par une partie quelconque «ne peut aucunement consacrer l'indépendance». D'autre part, M. Sadok Belaïd a proposé de conférer le droit à chaque citoyen de mettre en cause la légitimité de chaque loi ou le degré de sa conformité au texte de la Constitution, de déposer une plainte auprès de la Cour d'appel pour examiner sa pertinence et de soumettre l'affaire au Tribunal administratif. La Constitution, a-t-il ajouté, doit comporter des principes constants et irréfutables, tout comme elle doit comprendre des lois organiques permettant, le cas échéant, d'adapter le texte de la Constitution. Les constituants se sont interrogés sur le mode de contrôle de la constitutionnalité des lois avant et après sa promulgation, la position des conventions internationales en comparaison des dispositions de la Constitution, ainsi que sur l'indépendance du Tribunal constitutionnel. Ils se sont interrogés, également, sur les lois qui doivent être soumises obligatoirement au Tribunal administratif ou à une autre partie compétente.