Jazz à Carthage 2012 a levé le rideau, jeudi dernier. Cette 7e session vient ainsi, après une année «blanche», relancer ce rendez-vous autour du jazz authentique et renouvelé. En parlant de nouveautés, la scène s'est, en effet, ouverte cette année à deux jeunes interprètes tunisiens fraîchement découverts par le grand public: Badiâa Bouhrizi Ouerghi (Neyssatou) qui a assuré la première partie du concert d'ouverture et Bayrem Kilani (Bendirman) qui précédera Michael Burks Band au concert de la clôture. Pour la liberté et contre la médiocrité Badiâa Bouhrizi était là, à l'heure, pour accueillir le public de jazz à Carthage, accompagnée de ses potes et musiciens, Malek Ben Halim (percussions et guitare), Mourad Majoul (guitare),Wissem Ziadi (violon), Zakat Touré (basse) et Tareq Maaroufi (batterie). Déjà, la veille, elle avait noté sur sa page facebook qu'elle s'apprêtait à dévoiler le projet «Anoujad» qu'elle a lancé et qu'elle conduit depuis deux ans, tel qu'il se devait! Et elle le fit avec brio. Une première partie intitulée Un air de liberté, un titre qui sied bien à cette jeune interprète tunisienne dans l'âme sans avoir à le crier et qui, déjà depuis des années, porte en elle la flamme de la révolte. Avec les plus avertis, nous l'avons surtout remarquée lors de la tente estivale de Hammam Laghzez où elle avait exprimé son ras-le-bol en interprétant surtout le fameux morceau hommage à «Hafnaoui Maghzaoui», premier martyr de la révolte du bassin minier de 2008. C'est une lutte contre la médiocrité qu'elle livre avec son album «Anoujad», dont elle signe quasiment tous les textes, hormis le titre du patrimoine keffois «Nadi âl îfa», écrit par l'homme de théâtre Nourredine Ouerghi et le morceau «Ila Salma» dont les mots sont de Fadoua Touqan. Sa lutte, sur scène, se présente aux sonorités multiples et foisonnantes. «Je n'ai pas, particulièrement, de «style» musical, je me nourris de tous les sons et j'aime les brassages de toutes sortes.», confie-t-elle tout sourire. Et ce sont des rythmes afro, jazzy, dub, rock, etc. qui conduisent ses propos, ô combien éloquents et sincères, que sa voix vibrante ne fait que sublimer et envelopper d'émotion. «Malgré les ambitions coloniales, notre histoire est liberté, notre histoire est amazigh, notre histoire est africaine...», chante Badiâa en interprétant le morceau Salam (Paix). Et parce que la lutte est aussi amour, elle n'oublie pas de proposer des titres tels que Yé nessi hawaya (toi qui a oublié mon amour), interprété en solo avec guitare acoustique, qu'elle dédie à son amoureux. De plus en plus à l'aise sur scène avec sa parlote, ce sens de l'humour et cette spontanéité qui font son charme et sa sincérité, la jeune Neyssatou nous guide à travers ses cris de révolte, à travers ses combats...dont un particulier, personnel et national à la fois, qui vient interroger notre système judiciaire et carcéral. «Comment veux-tu que je fasse tomber des montagnes quand je suis confiné dans 10 mètres carrés... Si tu ne consommes pas, tu étouffes et quand tu consommes on te met dans 10 mètres carrés...», lance-t-elle (en dialecte tunisien) en chantant badnou yâayet horria (son corps crie liberté). La fin de son «air de liberté» se fait avec un morceau aux tonalités orientales/jazzy, soutenu par le violon de Wissem, le cajon de Malek, la basse de Zaka et l'excellent solo de batterie de Tareq. Wissem, arborant un pull, avec écrit Free Plastine y donne, vers la fin, la réplique, tout en chant, à son amie Badiâa. C'est le morceau kéfois Nadi âl îfa, fruit de sa collaboration avec Nourredine Ouerghi, qu'elle laisse pour la fin. Une fin tout en émotion qui vient saluer le talent et l'engagement de cette interprète vraie et authentique qui ne manque pas de souligner, lors du point de presse qui a suivi son concert, le retour sur scène de la mentalité policière répressive, à travers surtout les lourdes peines infligées à des jeunes pour cause d'émeutes lors de la révolution...A bon entendeur. Subtilité et sensualité La suite se fait plus intimiste et sensuelle avec l'Américaine Stacey qui, accompagnée de Jim Tomlinson (saxophone), Graham Harvey (piano), Calum Gourlay (contre-basse) et Matt Skelton (batterie), nous livre avec volupté et douceur un programme varié entre anciennes chansons et d'autres plus nouvelles. Des morceaux tout droit sorties de leur nouvel album «dreamer in concert» qui fait l'objet d'une tournée entamée, il y a deux semaines, au Japon, à Singapour, à l'Olympia en France (la veille) et qui les mènera, ensuite, au Brésil et sous d'autres cieux! «Je suis ravie d'être ici! C'est incroyable, il y a longtemps qu'on essaye de venir en Tunisie et finalement, nous y sommes!» lance-t-elle après son troisième titre, une chanson intimiste qu'elle interprète en français, tirée de l'album "Raconte-moi". Cette interprète de talent qui a raflé, entre autres prix, le prix de la meilleure vocaliste aux British Jazz Award (2001) et aux BBC Jazz Award (2002), commence par présenter les musiciens qui l'accompagnent. Parmi eux, son époux, Jim Tomlinson, qui la soutient admirablement au saxophone (principalement) et qui produit ses albums et arrange ses reprises, à l'instar (sûrement!) des chansons d'amour du Brésilien Marcos Vale ( avec lequel ils ont partagé la scène, en octobre dernier, à Rio De Janeiro) qu'elle nous a offert avec son timbre voilé et diaphane. En interprétant le morceau Sait-on jamais de son album "Raconte-moi", elle explique que le foisonnement de matière française dans leur répertoire est dû à un grand-père russe francophile, qui a épousé une Française et qui a tenu à transmettre l'idiome à sa petite fille qui manie à merveille et avec un charmant accent la langue de Molière. Stacey n'oublie pas de rendre hommage à la bossa nova, un genre qu'elle aime particulièrement, en proposant un morceau revisité du grand Carlos Jobim et un autre demandé par le public (sur facebook) «Ice Hotel» (hôtel de la glace) qu'elle interprète généreusement. La soirée s'achève sur les rythmes de la samba avec, en prime, une déclaration d'amour sincère de la chanteuse au public!