Sur la presqu'île du vieux Mahdia, à la frange de Borj Erras, les habitants de la cité des flots ont toujours vécu en étroite symbiose avec la mer : elle ponctue leur quotidien, assure leur subsistance, rythme leurs journées et leur humeur, berce leur sommeil, et anime la majeure partie de leurs conversations. Il est difficile, pour qui vient de l'intérieur des terres, même si ce n'est pas de très loin, de comprendre ce rapport fusionnel : celui de ces enfants qui, sitôt levés, piquent une tête avant même leur petit déjeuner. Celui de ces femmes qui profitent de la halte de la sieste pour se rafraîchir, après une longue matinée de labeur. Celui des pêcheurs, partis à l'aube, qui cherchent du regard leur maison au retour, et que l'on guette des terrasses. Celui des vivants, mais aussi des morts, à qui elle offre la paix du plus beau cimetière marin du monde. Et même celui des chats qui sont les seuls chats du monde à se baigner et à pêcher les crabes. Aussi, est-il difficile, quelquefois, de comprendre combien tout ce qui touche à cette presqu'île préservée des dieux, à ce site magnifique que les peintres, les photographes et autres illustrateurs ne cessent de reproduire à l'infini, peut être sensible. Tout avait pourtant commencé par de très louables intentions : il s'agissait de protéger la muraille ancienne qui borde une partie de la route du bord de mer. Pour ce faire, et pour accéder à cette muraille, on dégagea le lieu et remblaya une esplanade, afin de mener à bien les travaux. Jusque-là, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. On se dit alors que cette esplanade, puisqu'elle était là, pouvait être prolongée, paysagée et éclairée, pour qu'elle constitue une petite promenade piétonne. Tout était encore très bien, et les riverains étaient heureux. Mais voilà, le mal étant l'ennemi du bien, qu'une autorité occulte se prit au jeu, obtint un financement et décida de poursuivre la promenade en route qui se poursuivrait bien plus loin que prévu. En fait, personne ne sachant où elle s'arrêterait. Ce qui signifie, en clair, que les habitants de Borj Erras seraient coupés de la mer, que leurs enfants ne plongeraient plus dans les flots, par le fait d'une route, certes piétonne pour le moment, mais qui dit qu'elle le restera? Cela signifie aussi que les pêcheurs ne pourront plus ancrer leurs barques. Cela signifie surtout que la superbe diversité de ce paysage, les amoncellements de rochers qui le constituent, la variété des petites criques où les enfants vont chercher des crabes, et la vue de ces femmes allumer des bougies en hommage à Lella Bahria, la sainte de la mer, disparaîtront. Alors, bien sûr, la muraille sera préservée, et c'est très bien. Mais est-ce réellement la seule dimension de la chose ? Le vécu, la dimension humaine d'une cité ne sont-ils pas aussi importants que son histoire ? Lella Bahria, protégez Mahdia !