«Pas de date encore prévue pour entamer la discussion du texte de la Constitution». Les Tunisiens devront encore attendre. Ce pressentiment nous a été confirmé hier par la députée Karima Souid. La célèbre constituante binationale du parti Ettakatol, connue pour sa sortie fracassante pour la défense du dialecte tunisien et de l'emploi du français dans ses interventions au sein de l'ANC, s'est exprimée en termes clairs. Aucune date n'est arrêtée à ce jour pour discuter du premier mot de la première ligne du premier article. En revanche, nuance-t-elle, le président de l'Assemblée le dit et redit, nous faisons tout pour finir la rédaction de la Constitution avant la fin de l'année. Karima Souid précise encore : «Nous croyons savoir que la rédaction du préambule de la Constitution serait déjà prête»; la députée a employé le conditionnel. Ainsi, si rien n'a été écrit à ce jour, si aucun calendrier n'est encore fixé, les discussions concernant le projet de loi de finances, les débats au sein des commissions concernant le choix du régime, présidentiel ou parlementaire, ou encore les auditions de certaines figures de la société, vont bon train, à l'instar de celle qui vient d'avoir lieu avec Néjiba Hamrouni, présidente du syndicat des journalistes tunisiens. Dans ce cas, vous êtes en mesure de nous dire, quels sont les points d'accord et de désaccord, demandons-nous. Et la députée de répondre: «Comme tout le monde le sait, il n'est plus question de l'application de la charia dans la constitution. En revanche, des voix prônent la création d'un conseil supérieur de l'islam qui se placerait au-dessus du législateur, des lois et des institutions, puisqu'il serait en droit de légiférer». Et à ce niveau selon la députée, se pose la question fondamentale : que veut-on faire de la Tunisie ? «On est à la recherche du consensus, dit-elle, nous discutons au sein de la commission des instances constitutionnelles, notamment, des thèmes comme le pluralisme des médias, le contrôle de l'action des forces de l'ordre et de la sécurité et la séparation du politique et du religieux». L'élue du peuple, militante comme elle se définit, précise que les fondamentaux au sein d'Ettakatol restent les mêmes, l'attachement à l'identité arabo-musulmane et parallèlement une aspiration indéfectible pour instaurer un Etat de droit, où règne le respect des libertés individuelles. «Nous défendons l'instauration d'un régime républicain civil», déclare-t-elle. Et sans ambages, elle cite Vincent Geisser, sociologue et politologue, spécialiste de l'Islam qui avait déclaré que la Tunisie ne peut pas passer d'une dictature imberbe à une dictature à barbe. «Le Conseil supérieur de l'Islam se charge d'organiser le champ religieux» Contacté par La Presse, M.Ameur Laraidh, constituant du parti Ennahdha, déclare que si aucune date n'est à ce jour avancée pour entamer l'étude du projet de constitution, il y a en revanche un consensus, comme tout le monde le sait, autour de l'article premier. D'autre part, les recommandations d'Ennahdha à ses députés consistent à accélérer l'élaboration de la Constitution. «Nous voulons que les choses avancent rapidement pour nous consacrer au plus important, au travail et à la reconstruction du pays», dit-il. Et que signifie la proposition de créer un conseil supérieur de l'islam, quels seraient ses prérogatives, son positionnement au sein de l'édifice juridique de la deuxième République ? La réponse de M. Laraïdh est sans équivoque : «Notre objectif derrière cette proposition de créer cette institution, qui de toute façon existe déjà dans la Constitution tunisienne, est d'investir le champ religieux pour ne pas le laisser vacant, en proie à toutes sortes de tiraillements et surenchères». Ce conseil se chargera de former les imams, de contrôler des mosquées, mais ne se place aucunement au-dessus des institutions de la République et celles élues par le peuple. En un mot, il vise à contrôler le champ religieux. Pourquoi alors cette inquiétude exprimée par les uns et les autres, se basant sur les possibles prérogatives qu'aurait le conseil qui le placeraient au-dessus de l'Etat et du législateur ? «Malheureusement, certaines personnes, répond-il, aiment à se faire peur et à diffuser cette peur autour d'elles. Cette peur, il faut qu'elle soit entretenue, à chaque fois par un thème différent; peur de la charia, des islamistes, maintenant peur du Conseil supérieur de l'islam. Or il n'y a aucune ambiguïté possible sur la vocation de cette institution, destinée à investir le champ religieux sans se placer jamais au-dessus d'aucune institution de la République». En attendant de voir les constituants débattre enfin en plénière et sous l'œil des caméras, les Tunisiens devront se contenter de ces déclarations des uns et des autres, pour se faire une petite idée de ce qui se passe — négociations, discussions, bras de fer — en se consolant toutefois par ce dicton, «Tout vient à point pour qui sait attendre».