Par Bady BEN NACEUR Bilal, le Compagnon du Prophète, qui fut chargé de lancer l'appel à la prière, à l'aube de la conquête musulmane, était noir de peau. Cas sans doute unique, en ce VIIe siècle, il ne faisait pas partie de cette main-d'œuvre servile, à travers cette vaste entité territoriale musulmane qui vit progressivement le jour. Le trafic qui se fit crescendo sur cette couleur de peau allait, d'ailleurs, coïncider à dévaloriser, très nettement, l'image du Noir. Dans son ouvrage, Olivier Pétré-Grenouilleau (*) déclare que pour renforcer le rôle essentiel de la conquête musulmane, il a fallu «inventer» la traite des Noirs. Au Maghreb, «la conquête s'accompagna de rafles, puis d'explorations de routes vers le Sud, empruntées par les traitants qui furent à l'origine de l'essor de la traite». O.P. Grenouilleau ajoute que «chassés de Kairouan, les Ibadites (de la secte des Kharijites) fondèrent la Cité de Tahert —l'actuelle Tiaret en Algérie—, étendant leur influence jusqu'à Ouargla». Et c'est à partir de ces deux cités que partirent des négociants qui atteignirent les régions de la boucle du Niger. Ainsi la plus centrale des routes transsahariennes était ouverte! Sur un autre plan et concernant à la fois notre pays et les frontières environnantes, c'est à l'Est, qu'en ces temps d'expansion musulmane, partirent les Ibadites de Zawila, dans le Fezzan, pour rayonner jusqu'au Lac Tchad, reliant ainsi cette région à la Tripolitaine. Il s'agit là d'une histoire mouvementée et brutale pour ces captifs noirs et sur laquelle nous ne nous attarderons pas. «L'essor de la traite musulmane, souligne encore O.P-Grenouilleau, est inséparable du racisme, moyen simple, mais particulièrement efficace, pour nier la dignité humaine des hommes que l'on entreprend de traiter en esclaves». Faits vrais ou avérés, la religion n'enseigne pas de tels préceptes si ce n'est dans des cas extrémistes comme on les vit encore aujourd'hui du côté de la communauté noire de Tunisie. Nous avons suivi avec un intérêt accru l'émission de la chaîne TV Tounsia, à travers un reportage sur ces descendants des lointains captifs où tout ne baigne pas dans l'huile comme on le croyait pourtant. Les appellations «incontrôlées» dont on affuble ces «peaux noires» expriment encore ces relents de racisme qui règnent à leur encontre. Ainsi, parmi la panoplie de telles appellations, nous avons retenu celles-ci : janz, asmar, Kahlouch, akhal, oucif, hamrouni, assoued, nigro, abid… Des vocables qui servent même de prête-noms des prêts à l'insulte, l'invective et la diffamation comme celui de la si merveilleuse Nejiba Hamrouni qui fut prise à partie par certains salafistes pour avoir dit ses quatre vérités. Le racisme est-il à ce point banalisé dans cette Tunisie révolutionnaire et qui n'a pas encore dit son dernier mot? On parle encore de tares à l'encontre de cette communauté que je n'oserai énumérer tant de tels propos sont aussi choquants que blessants alors que la mloukhia (la corête), le gambo ou le henné ne nous ont jamais fait de mal, bien au contraire, tant leurs saveurs nous imprègnent encore aujourd'hui. Jacques Brel disait, dans l'une de ses chansons : «L'élégance d'être nègre» et j'ajouterai : «quelle élégance avons-nous, nous les pas vraiment blancs, mais plutôt basanés, tout couleurs, mixés?» Oui, que d'appelations incontrôlées, honteuses, indignes des Tunisiens que nous sommes, à l'égard de cette peau qui a tant souffert et dont on vient de se souvenir le 10 mai en France au nom de la «traite des Noirs». (*) «La traite des Noirs» Collection Que sais-je? (Puf)