Avec ses sites naturels, qui s'étendent entre Sidi Mecherg à l'Ouest et la lagune de Ghar El Melh à l'Est et son littoral bordé de falaises rocheuses, de grandes criques, de dunes de sable et de forêts de pins et d'acacias abritant une grande variété de plantes et d'animaux, la région de Bizerte représente, depuis plusieurs années, un attrait pour les promoteurs immobiliers et touristiques qui voient dans cette région une opportunité de réaliser des opérations foncières juteuses par le biais de projets gigantesques qu'on nous disait porteurs d'emplois et de développement régional et que le président déchu soutenait, non dans l'intérêt de la région, mais dans l'espoir d'en tirer des bénéfices financiers, pour lui-même et les siens le moment venu. Le dernier mégaprojet qui devait être réalisé dans la région de Bizerte avec la bénédiction de Ben Ali, relayé par les autorités régionales de l'époque, était le «Projet Cap Blanc» du Groupe Makni qui devait être implanté à Ain Damous, sur une superficie de deux cents hectares, dont une grande partie appartient au domaine public de l'Etat. Avec la révolution, nous avons cru que la frénésie, suscitée par ce mégaprojet, était à jamais écartée. Malheureusement, elle refait aujourd'hui surface et nous craignons sérieusement que les autorités, issues des dernières élections, et obnubilées par la question du chômage, préoccupation certes réelle, mais conjoncturelle, ne veuillent ignorer les méfaits à long terme de ce projet pour n'en retenir que les retombées économiques immédiates qui demeurent, par ailleurs, incertaines. Car ce littoral, exposé aux vents du Nord-Ouest, et doté d'un climat rude et venteux pendant une bonne partie de l'année, ne peut être exploité d'une façon permanente sur le plan touristique et, de ce fait, ce projet ne peut offrir que des emplois saisonniers. Par ailleurs, on ne voit pas comment le promoteur va rentabiliser son projet, vu l'importance de l'investissement, si ce n'est par des opérations de promotion immobilière. Une fois les travaux de construction terminés, il ne sera plus question d'emplois ni permanents ni même saisonniers. Pour cela et pour bien d'autres raisons que nous vous exposons ci-après, notre Association est résolument opposée à l'implantation du projet «Cap Blanc» à Aïn Damous et appelle à son abandon pur et simple, car sa réalisation sur ce site sensible va se faire au mépris des préoccupations environnementales, et en violation des lois protégeant la nature et celles réglementant les biens publics, sacrifiant ainsi l'intérêt général pour des intérêts privés. Arguments socioéconomiques appelant à la non-implantation de ce mégaprojet dans la zone de Aïn Damous Pendant les cinquante dernières années, le développement de nos régions côtières s'est fait au détriment des régions intérieures. Cette injustice sociale flagrante fut l'une des causes principales de la Révolution tunisienne. L'insurrection a, en effet, éclaté dans la région du Centre, enclavée, marginalisée et délaissée par les gouvernements successifs de l'ancien régime. La majorité des économistes et des analystes politiques reconnaissent aujourd'hui qu'il est vital de porter l'effort national sur ces régions de la Tunisie profonde, qui sont les laissées-pour-compte en matière de développement ; le littoral tunisien ayant, comparativement, largement reçu sa part en matière d'investissement depuis l'indépendance. En ce qui concerne notre région, au lieu de continuer à bétonner la côte au détriment des préoccupations environnementales, nous suggérons de développer les zones d'ombre de l'arrière-pays de Bizerte, comme Sejnane, Ghezala, Utique et autres communes oubliées, ainsi que le tourisme écologique auquel notre région se prête : chasse, pêche, plongée sous-marine, voile, randonnée, pique-nique, etc. Mais ce type de tourisme durable n'intéresse nullement les gros opérateurs touristiques. Il n'est pas assez lucratif ! L'argument de la création d'emplois avancé systématiquement par les investisseurs est trompeur, car ils ne proposent que des emplois sous-qualifiés pour la région pendant la durée des travaux de construction, et nous sommes bien loin du développement durable. En ce qui concerne les emplois dans l'hôtellerie, vu la brièveté de la saison estivale dans notre région (deux mois par an), on ne pourra créer que des emplois précaires (serveurs, femmes de chambre, jardiniers et gardiens). Ces emplois ne concerneraient d'ailleurs que faiblement les habitants de la zone, éparpillés et peu nombreux, vivant de l'agriculture, de l'élevage et de la pêche. Le recrutement drainera probablement des personnes originaires d'autres régions, accentuant davantage la pression démographique sur la ville de Bizerte, déjà surpeuplée. Par ailleurs, le climat particulier de notre région ne permet pas d'optimiser l'exploitation et l'occupation des installations touristiques. Il est notoire que les unités hôtelières existantes à Bizerte sont sous employées et certaines sont, même, quasiment fermées. Pourquoi alors aggraver la situation en créant un méga-complexe à 12 km de la ville ? Nous nous opposons à une économie du « tout tourisme » qui est en perte de vitesse dans la plupart des pays de la Méditerranée et à laquelle nous préférons une stratégie nouvelle prônant le développement d'un tourisme écologique et culturel durable, basé sur le respect de l'environnement naturel et axé sur l'histoire et l'archéologie de la Tunisie. Arguments écologiques s'opposant à l'implantation de ce mégaprojet dans la zone de Ain Damous Les vents d'Ouest et du Nord-Ouest, dominants dans la région de Bizerte, ne militent pas en faveur de la construction d'une marina sur la façade du pays la plus exposée aux tempêtes. Qu'on se rappelle la destruction du port de Sidi Mechreg à la suite d'une forte tempête, il y a quelques années. Cette réalité climatique a toujours incité les plaisanciers à s'abriter ailleurs dans des sites protégés comme celui de la nouvelle Marina de Bizerte, en cours de réalisation (laquelle marina, d'après nos informations, peine encore à trouver preneur pour ses anneaux et ses appartements). A notre connaissance, la décision d'implanter le projet «Cap Blanc» sur le site de Aïn Damous a été prise, et les plans et la maquette y afférents réalisés et présentés au président déchu puis ressortis aujourd'hui devant les nouveaux responsables politiques, tout cela préalablement à toute étude d'impact sérieuse et à toute enquête publique. Il est clair, au vu de la maquette et des plans du projet, qu'il s'agit d'un complexe touristique et immobilier pharaonique qui va entraîner, inexorablement, des constructions en masse sur tout le littoral et provoquer une spéculation immobilière effrénée. On verra alors surgir de terre, en dehors de tout contrôle, des habitations, des cafés-restaurants, des boutiques pour touristes, des kiosques, et autres «parcs de loisir», aggravant ainsi un mouvement de dégradation des sites naturels qui est, par ailleurs, largement entamé à proximité du Cap Blanc, où les particuliers ont construit des villas imposantes à flanc de montagne, ainsi que des bungalows et des restaurants, dans une zone censée être protégée, au vu et au su des autorités de l'ancien régime et au mépris du droit. Continuer à fermer les yeux sur les violations des lois et tolérer les passe-droits conduira inexorablement à la mort des dernières plages naturelles de Bizerte. Pour cette ville, si riche de son histoire millénaire, de ses ressources naturelles et de ses paysages sublimes, un projet de complexe touristique de masse et de cette ampleur est une agression fatale qui contribuera à l'œuvre d'enlaidissement et de dégradation dont soufrent déjà la cité et ses environs. Avec la disparition de la plage historique de la ville, celle où des générations de Bizertins ont appris à nager, ensevelie sous le béton d'une marina construite sans consulter la population, après les constructions de nouveaux hôtels sur la plage de Sidi Salem au plus près de l'eau, et suite au rétrécissement de la plage de la Corniche, de plus en plus envahie par des paillotes illégales, il ne reste plus aux familles de la région que les belles plages de sable fin entre Oued Damous et Ras Angela. Ce sont ces dernières plages qui risquent, aujourd'hui, d'être englouties par la spéculation immobilière à grande et à petite échelle. Le projet Cap Blanc va, aussi, à l'encontre des efforts fournis par l'administration tunisienne depuis cinq décennies en matière d'arborisation du pays. En effet, consciente de la disparition progressive de son couvert végétal, la Tunisie a mis en œuvre, au lendemain de son indépendance, un programme de reforestation et une politique de restauration écologique du pays qui, année après année, a commencé à donner de timides résultats. Par ailleurs, les composantes du projet ne promettent rien de bon : L'édification d'une ville de 25.000 habitants, comme prévu par le projet, à laquelle il faut ajouter les estivants, les touristes et les employés provoquera une pollution maritime de grande ampleur sur tout le golfe de Bizerte à cause des courants du Nord-Ouest. La construction d'une marina, dans la zone de Ain Damous et de Ras Angela, espace de pêche très apprécié par les professionnels, et la pollution qui en découlera fatalement, contribuera à réduire les ressources halieutiques déjà affaiblies. Si le projet Cap Blanc voit le jour, que restera-t-il alors du charme de notre ville ? De nos ressources halieutiques ? De nos espaces verts ? Que lèguerons-nous à nos enfants ? Sinon les souvenirs et les regrets aussi !!! (A suivre : Les arguments juridiques) Association de protection et de sauvegarde du littoral de Bizerte