Après 11 jours de marathon filmique, que reste-t-il de cette 65e édition du Festival de Cannes que d'aucuns ont qualifiée, comme d'habitude d'ailleurs, de session en «demi teinte». Pourtant, cette session, comme les précédentes, a proposé, à quelques exceptions près, les œuvres des habitués de la sélection officielle. Alors, qu'est-ce qui a changé? Est-ce que les cinéastes du club très fermé de la sélection officielle vieillissent mal et font des films moins bons qu'autrefois? Pourtant, on sait, bien sûr, que Cannes est le reflet de ce qui se fait de mieux dans le cinéma international. Si les journalistes n'approuvent pas la sélection, c'est qu'ils sont, soit des éternels insatisfaits, soit qu'ils ont vu les films à demi endormis pour donner des jugements hâtifs. A voir de près, la sélection de cette année est un bon cru, du moins au niveau européen. Le Palmarès accordé par le jury du réalisateur italien Nanni Moretti en est la preuve. Si l'on excepte le film mexicain Post Tenebras Lux de Carlos Reygadas, tout le reste est du 100% européen. Et pas n'importe quelle catégorie de films européens. Il s'agit bien d'un cinéma qui revient à un genre classique, sans effet de style et dont la démarche est plutôt linéaire. Donc, dans ce palmarès exit le Leos Carax et son Holy Motors plus ou moins élaboré, le Hong Sangsoo et son In another country, une comédie fraîche et pétillante qui se présente comme une variation sur un même thème et tout le cinéma à la résonnance hollywoodienne. Le cinéma à l'international Nanni Moretti a récompensé les œuvres qui sont à l'image de ses films, à la fois sobres et profonds. Cette année, les caractéristiques de cette 65e édition sont tout d'abord ce que nous appelons «le cinéma à l'international». En effet, la question de la spécificité régionale et la rengaine d'un cinéma local, tant recherchées il y a quelques années, ne sont plus de mise de nos jours. Les grands cinéastes de renommée internationale réalisent leurs films sans tenir compte du pays d'origine dans lequel ils ont tourné leurs œuvres antérieures. Le réalisateur iranien Abbas Kiarostami ne tourne plus en Iran, depuis 2010. Son précédent film, Copie conforme, a été tourné entièrement en Italie, avec des acteurs européens. Celui de cette année, Like someone in love, est mis en scène au Japon avec des acteurs japonais. Il en est de même pour le cinéaste austro-allemand Michael Haneke, détenteur de la Palme d'Or pour son film Amour dans lequel tous les interprètes sont français. Le tournage a été sans doute fait en France. Le Coréen Hong Sangsoo a fait, lui aussi, appel à l'actrice française Isabelle Huppert pour le rôle principal de In another country. De même que le cinéaste canadien David Cronenberg, dont le film Cosmopolis est composé des acteurs français Juliette Binoche et Mathieu Amalric. Ces quelques exemples montrent que le cinéma s'internationalise et qu'il n'est plus confiné à une certaine localité. Même si d'aucuns pensent que ces cinéastes perdent un peu leur âme en allant vadrouiller ailleurs. Il n'empêche que leur empreinte est reconnaissable quelle que soient les conditions. Une explication peut être donnée à leur «immigration». C'est sans doute la question du financement qui devient épineuse dans certains pays où il n'y a pas de budget conséquent pour la culture, soit aussi parce que le scénario impose le lieu de tournage. La force du huis clos Un autre point important qui caractérise cette édition de Cannes, le huis clos. Une grande partie des films est tournée dans un seul espace. Amour de Michael Haneke en représente l'exemple le plus frappant. Tout le film est tourné dans un appartement, sans aucun plan extérieur. Cosmolpolis de David Cronenberg se déroule presque entièrement dans une limousine et les séquences extérieures sont rares. L'ivresse de l'argent du Coréen Im Sang Soo est pratiquement tourné dans des lieux fermés. Au-delà des collines de Cristian Mungiu se passe en très grande partie dans un monastère. Cette tendance privilégie évidemment le jeu des acteurs et fait des économies sur le budget du film. Moins de déplacements, peu de décors et, par conséquent, des coûts de plus en plus allégés. L'exemple le plus représentatif de cette tendance est le film Amour tourné avec quatre comédiens seulement et dans un seul espace. Une économie de moyens et un dépouillement extrême dont a fait preuve cette œuvre dans laquelle se sont distingués avec brio les acteurs Jean Louis Trintignant, sans doute le plus grand rôle de sa vie, et Emmanuelle Riva, grâce au génie d'un réalisateur capable de transformer un geste en un grand moment de cinéma, notamment dans la scène de toilettage pratiquée par l'aide-soignante sur la malade. La manière de la brosser en lui tirant les cheveux montre à quel point son indifférence à l'égard d'une personne invalide. L'automatisme du geste renvoie à la sécheresse du cœur de cette aide-soignante. Les espaces clos concentrent l'énergie des réalisateurs d'âge avancés. On se souvient des réalisateurs, indien Satyagit Ray, et japonais Akira Kurosawa et de bien d'autres, qui vers la fin de leur vie, ont réalisé leurs films dans un seul espace fermé. Cela n'empêche pas leurs œuvres de gagner en efficacité. Tout est question d'intelligence et de point de vue. «On voyage avec soi-même», disait le poète portugais Fernando Pessoa. Le huis clos serait-il une échappatoire ou une voie sacrée vers laquelle le cinéma s'oriente?