Pour la 2ème fois, le cinéaste allemand Michael Haneke rafle la Palme d'Or avec son film émouvant « Amour ». En 2009, il a obtenu la même distinction avec « Le ruban blanc ». Porté par deux acteurs français sublimes : Jean Louis Trintignant et Emmanuelle Riva sans oublier l'égérie de Haneke, Isabelle Huppert qui incarne leur fille. « Amour » est un huis clos à la fois oppressant et plein de tendresse d'un couple d'octogénaires uni à jamais pour la vie et la mort. La femme tombe malade. Sa santé se dégrade de plus en plus et son mari qui va s'occuper d'elle. Devenue totalement dépendante et la voyant extrêmement souffrir, son époux la soulage en l'étouffant avec un oreiller. Le film pose le problème de la vieillesse en Europe où elle atteint des taux très forts. Que faire de cette population vieillissante ? Faut-il la laisser agonir dans des maisons de retraite ou réfléchir à une nouvelle stratégie de prise en charge ? C'est aussi la question de l'euthanasie qui est posée en filigrane et que l'église bannit. Deux personnages, un appartement et un cinéaste qui donnent à voir le spectacle d'une Europe qui se vide de sa populaû qui a suscité l'enthousiasme du jury présidé par le cinéaste italien Nanni Moretti et la critique et le public.
Le Kitsch italien
Compte tenu des films primés de forme assez conventionnelle, Nanni Moretti a vraisemblablement pesé de tout son poids dans ce jury en offrant notamment le Grand Prix au film « Reality » de son compatriote italien Matteo Garonne, ayant été précédemment récompensé en 2008 pour « Gomorra ». « Reality » est une comédie sociale kitsch à la Fellini représentante de l'Italie de Berlusconi, qui a fait rêver les gens et les a bernés avec des promesses non tenues. La téléréalité est au centre de ce film dont le personnage principal, poissonnier de son état qui arrondit ses fins de mois en vendant des robots ménagers, est poussé par sa famille à participer au casting d'une émission de téléréalité qui se déroule dans les studios Cinecitta. Dans ce voyage statique très coloré, Matteo Garonne réussit à nous montrer une Italie perdue dans des illusions qui se laisse bercer par des chimères et veut oublier certaines valeurs dont celle du travail au profit de l'enrichissement facile.
Le prix de la mise en scène est allé au film mexicain « Post Tenebras Lux » de Carlos Reygadas. L'œuvre n'a pas été bien accueillie par les festivaliers en raison de certaines lourdeurs pesantes qui n'aident pas à la compréhension du propos. En effet, un jeune couple choisit de quitter la ville et de vivre à la campagne avec leurs deux enfants. Leur choix s'avère compliqué parce qu'il continue à trainer derrière lui des repères dont il n'arrive pas à s'en débarrasser. La tension monte entre l'homme et la femme et le drame arrive. La mutation parait difficile à se faire et peut même conduire à des situations impossibles.
Le Prix du Jury est revenu au film « La Part des anges » du réalisateur britannique Ken Loach primé en 2006 pour « Le vent se lève ». Comédie sociale à l'instar de « Reality », « La Part des anges » porte sur un thème très cher aux Anglais mais pas seulement : le wisky. Un homme se transforme en dégustateur de whisky, un nouveau job qui le conduira dans un univers particulier. Amusant et gai, le film a rempli sa fonction de séduire toute la Croisette.
Des femmes et un Dieu
Le film roumain « Au-delà des collines » de Cristian Mungiu a été doublement récompensé du prix du scénario et du Prix de la meilleure interprétation féminine aux jeunes actrices Cosmina Stratan et Cristina Flutur pour leur rôle poignant de deux amies dont l'une est devenue religieuse et l'autre qui vient la chercher du monastère pour partir vivre ensemble en Allemagne. L'incursion de cette dernière dans le monastère va semer le trouble. Le réalisateur pose des questions fondamentales sur la destruction d'un groupe au nom d'une autorité, ici en l'occurrence la religion. Dans son précédent film « 4 mois, 3 semaines et 2 jours », Palme D'Or de Cannes en 2007, Cristian Mungiu a repris à peu près les mêmes personnages pour décrire le pouvoir dictatorial d'une autorité politique ou religieuse qui peut plonger un groupe ou un pays dans l'aveuglement et l'infantilisme. Classique au niveau de sa forme et rude au plan de son propos, le film aurait pu décrocher la récompense suprême.
L'acteur danois Madds Mikkelsen a été récompensé par le Prix d'interprétation masculine pour son rôle dans le film « La Chasse » de Thomas Vitenberg. Il y campe le personnage d'un homme de 40 ans qui doit se battre pour sauver sa vie et sa dignité après un divorce difficile. Comment reconstruire sa vie avec l'espoir qu'elle devienne meilleure qu'avant ? Telle est la question à laquelle tente de répondre cette œuvre forte.
Il est à noter qu'aucun film français ou américain n'a été récompensé au cours de cette 65ème édition pourtant « Holy Motors » de Leos Carax a été un grand favori ou encore « Mud » de Jeff Nichols. La sélection estimée en « demi-teinte » par un grand nombre de journalistes nous parait, à regarder de près, intéressante puisqu'elle nous propose une image grandeur nature de ce qui se fait de mieux dans le cinéma mondial. Le jury a donc choisi de valoriser les films à l'écriture linéaire et classique privilégiant la force du discours. De notre envoyée spéciale Inès Ben Youssef