Depuis quelque temps, tout le monde ne cesse de parler de la baisse du pouvoir d'achat dans nos contrées, en raison des difficultés économiques que connaît le pays. Cette crise socioéconomique, tel un tsunami, a affecté toutes les classes sociales de notre société y compris les étudiants. Ainsi, pour faire face à la cherté de la vie et aider leurs familles dans leurs dépenses (loyer, nourriture, habillement, etc.), plusieurs de nos étudiants ont trouvé dans le domaine des services (salons de thé, restaurants, bureautique, etc.) une alternative pour vivre dignement. A l'image de plusieurs de nos compatriotes, Walid Zriba, étudiant en troisième année «anglais d'affaires» travaille parallèlement comme étudiant jobiste dans un salon de thé. Il faut dire que depuis presque cinq ans, le jeune, originaire de Kébili, (une ville du sud de la Tunisie, située à environ 500 kilomètres de Tunis) a fait le choix de travailler parallèlement à ses études universitaires : «Mes deux premières années, je ne travaillais qu'en été . Mais à partir de 2010, le job d'été s'est transformé en travail étalé sur toute l'année. Au début, j'ai été recruté comme plongeur et, petit à petit, j'ai été initié pour assurer le poste de comptoiriste qui demande beaucoup de savoir-faire», précise-t-il. «Au début, note encore notre étudiant, j'ai opté pour ce job dans le but de gagner mon argent de poche, mais avec l'avènement de la révolution et l'augmentation des prix des denrées alimentaires, travailler pour les étudiants dont les parents ont des revenus faibles ou moyens est devenu une nécessité. Et Dieu merci , grâce à la petite expérience que j'ai acquise, je perçois chaque mois un salaire variant entre 300 et 400 dinars (en fonction des heures supplémentaires travaillées) sans parler du pourboire que je perçois à la fin du service de la part des serveurs et qui se chiffre entre 5 et 6 dinars en haute saison et de 2 à 3 dinars en basse saison. Malgré le fait que la fonction de comptoiriste est une source de stress et demande beaucoup de vigilance, ça n'empêche que ce métier m'a permis d'être en contact avec les gens, faire des connaissances et me forger une personnalité». Travailler pour vivre dignement De son côté, Ghada Henchiri (originaire de Gafsa), une jeune étudiante à l'Institut supérieur des langues appliquées et informatique de Nabeul, malgré son jeune âge (22 ans) dresse un tableau bien précis : «Tout a commencé l'année dernière durant les vacances d'été. J'ai travaillé durant les mois de juillet et août dans un centre d'appels. Et dès la reprise de l'année universitaire, j'ai travaillé pendant 3 mois (à partir de septembre) dans un publinet où je faisais aussi des tâches bureautiques (traitement de textes, etc.). Et voilà que ça fait un mois que je bosse dans un salon de thé comme plongeuse, aide-comptoiriste et de temps en temps j'assume le rôle de serveuse». Mieux encore : «Je m'estime heureuse par rapport à d'autres camarades, vu que je suis en terminale et, en ce moment, je suis en train de préparer mon projet de fin d'études. D'ailleurs, je me suis arrangée avec mon patron pour que mon jour de repos soit le mardi, le jour où je m'entretiens avec mon encadreur». Et Ghada ne fait pas l'exception dans son milieu estudiantin: «Mes 4 binômes travaillent aussi. Trois d'entre elles travaillent comme moi dans un salon de thé et la quatrième fille est une vendeuse dans une boutique de prêt-à-porter. Il faut dire qu'avec la baisse du pouvoir d'achat et la flambée des prix des légumes, la vie est devenue infernale pour un étudiant. Par exemple : la part de loyer de chaque fille est de 80 dinars sans parler que chaque semaine, nous dépensons par personne entre 20 et 30 dinars. De ce fait, nous sommes contraintes de travailler parallèlement avec nos études par nécessité, car l'argent que nous envoient nos parents ne suffit plus pour acheter même les produits nécessaires (aliments et produits détergents)». Toujours selon Melle Henchiri, les étudiants originaires du Sud, du Centre et du Nord-Ouest représentent la majorité qui opte pour le travail parallèlement avec leurs études universitaires : «Nous sommes obligés de travailler. Nous n'avons pas le choix. Certes, ce genre de travail est hyper-fatigant, mais au moins, on se sent plus indépendants financièrement (Ghada perçoit entre 250 et 350 dinars par mois, selon le nombre d'heures de travail) et cela nous permet d'acquérir une expérience dans un domaine qui n'est pas le nôtre. Et, surtout, je préfère compter sur moi-même . J'encourage tous les étudiants à travailler à condition que cela n'influe pas sur leurs études. Il leur suffit uniquement d'une attestation de présence plus une copie de la carte d'identité nationale. D'ailleurs, mon travail ne m'a pas empêché d'avoir 12 comme moyenne générale». L'employeur est exonéré des charges sociales de la Cnss Mais qui dit médaille, dit aussi revers de la médaille. En effet, la recrudescence de ce phénomène s'explique du fait qu'en 2010, une circulaire a encouragé l'embauche des étudiants durant les 3 mois des vacances scolaires. En contre-partie, l'employeur n'est pas obligé de payer la couverture sociale. Disons une sorte d'amnestie, vu que le travailleur est encore étudiant et non pas professionnel. Or, plusieurs employeurs ont trouvé dans cette circulaire une aubaine qui leur permet d'avoir moins de charges sociales, non seulement durant les vacances de l'été, mais aussi tout au long de l'année, comme l'atteste M. Adel, propriétaire d'un restaurant et d'un salon de thé à Tunis : «Honnêtement, avec la crise que connaît le tourisme en Tunisie, l'emploi des étudiants représente pour nous une grande bouffée d'oxygène. Par exemple, en un seul trimestre, un étudiant me permet de gagner un mois de salaire. Sans parler du rendement qui parfois dépasse celui d'un professionnel. En plus, ils sont perfectibles et nous n'avons pas le souci de la titularisation». De son côté, M. Abdelhamid Baccouche, inspecteur régional du travail dans le gouvernorat de Nabeul précise qu'il faut «encourager l'embauche des étudiants. C'est une bonne initiative qui permet à l'étudiant d'être actif. D'autre part, ces étudiants n'entrent pas en concurrence avec les professionnels du métier, vu que dans le domaine des services (restauration, cafés, salons de thé, etc.), il y a un manque dans la main-d'œuvre. En plus, la loi encourage l'emploi des étudiants». Sur ce point, M. Sami Tahri, porte-parole officiel de l'Union générale tunisienne du travail (Ugtt) et membre du bureau exécutif, note que «compte tenu du fait que ces étudiants travaillent à plein temps et tout au long de l'année, on ne peut plus parler d'étudiants-travailleurs, mais de travailleurs tout court». Assurément, tout porte à croire que ce phénomène qui a tendance à passer inaperçu ne cesse de faire tache d'huile sous une inquiétante «Omerta». Alors, peut-on parler d'une nouvelle forme de prolétariat?