Par Soufiane Ben Farhat Certains échanges s'apparentent souvent, sous nos cieux, à un dialogue de sourds. Les dogmes et moules préétablis verrouillent les débats. Les bloquent même. Ainsi en est-il de la question de l'abolition ou non de la peine capitale dans le texte de la Constitution. On l'a observé avant-hier dans la Commission des droits et des libertés. D'un côté, la majorité automatique des députés d'Ennahdha. A en croire certains, abolir la peine capitale équivaudrait à attenter à la charia. Et faire entorse à l'article 1 escompté de la Constitution qui instruit que l'Islam est la religion de la Tunisie. De l'autre côté, les démocrates et libéraux pour lesquels l'abolition de la peine de mort tient lieu de principe fondamental des droits de l'Homme. Les premiers sont forts d'une majorité automatique. Les seconds honorent l'esprit et la lettre de la Charte des droits de l'Homme. Et entre les deux, il y a un navrant malentendu. Logiquement, la Tunisie est le dépositaire dudit Printemps arabe. Elle en constitue le porte-drapeau dans un environnement somme toute hostile. Et la Tunisie se doit de maintenir et préserver le feu sacré des aspirations libertaires du Printemps arabe. En vérité, le débat est posé, au sein de l'Assemblée constituante, d'une manière manichéenne. Parce que la Tunisie est un pays abolitionniste de fait depuis 1991. Y abolir la peine de mort est, d'une certaine manière, un anachronisme puisqu'elle y est déjà exclue par la force des choses. Jusqu'ici, ce qui prévaut sous nos cieux, c'est le maintien théorique de la peine de mort mais avec le moratoire sur les exécutions. En même temps, le prononcé des jugements de la peine capitale est maintenu en vertu des textes de loi, spécialement les articles génériques des codes pénal et de procédure pénale. Et puis le gouvernement a signé, en juillet 2011, le Statut de Rome de la Cour pénale internationale. De son côté, M. Moncef Marzouki, président de la République, a commué, en janvier 2012, la peine de mort de 122 détenus en condamnation à perpétuité. Last but not least, M. Samir Dilou, ministre des Droits de l'Homme, a fait part récemment à Genève de l'intention du gouvernement de maintenir le moratoire sur les exécutions. On ne voit pas comment le pouvoir, issu d'une révolution fondée sur les valeurs de dignité et de liberté, en viendrait à remettre en cause le moratoire sur les exécutions. À moins de tenter le diable. En même temps, les procédures autorisent les constituants à jouer le statu quo. Le parallélisme des formes veut que la peine de mort soit, le cas échéant, abolie dans les textes de loi qui la stipulent. Fût-ce théoriquement. Et bien au-delà, l'énoncé des principes constitutionnels peut très bien englober l'inviolabilité ou la sacralité de la vie. De sorte que tout en découle. Tels les principes généraux du droit, qui ont une valeur extra-légale et infraconstitutionnelle. En définitive, l'on ne se pose que des problèmes que l'on peut résoudre. Camper les fouilleurs stériles dans les arrière-fonds équivoques équivaut à l'étrange incantation des dogmes et autres idées fixes. Quel que soit notre bord, le dogmatisme a bon dos. Il dresse une espèce d'écran avec la truculence de la vie, le foisonnement des idées et l'interactivité avec la science. A ce stade, il convient de ne point cristalliser le débat en termes irrémédiablement opposés, voire antagoniques. Le moratoire en vigueur depuis 1991 a le don de maintenir une espèce de cohabitation heureuse entre le maintien théorique de la peine de mort et sa non-application pratique. Et la succession des faits après la révolution corrobore la tendance abolitionniste de fait. Ne gâchons pas l'idéologie de l'action pratique par quelque impromptue aspiration à une interdiction constitutionnelle qui pourrait constituer la plateforme de tous les abus.