Par Khedija EL MADANI* Ce qui vient d'arriver à El Ibdillya est d'une extrême gravité. Le salafisme a frappé encore une fois. Encore une fois, c'est la culture qui est dans le collimateur. Ce n'est pas un hasard si les « troubles universitaires » dus aux salafistes ont régulièrement pour cible les arts et les humanités. Car la culture c'est l'art et l'art c'est la liberté de penser, c'est la liberté de rêver, c'est la liberté de créer, c'est la liberté de vivre. Et l'histoire nous enseigne que c'est en s'attaquant à l'art et à la culture que les fascistes et les fondamentalistes de tout bord ont imposé leur idéologie criminelle. Que le ministre de la Culture, censé être le premier défenseur des artistes et des intellectuels, ne réagisse pas, ou plus que mollement, c'est, hélas, dans l'ordre - oserais - je dire le désordre - des choses, actuellement. Que ses pairs suivent son exemple me parait logique. Que notre tumultueux président de la République, droits - de - l'hommiste s'il en est, n'ait aucune réaction, cela n'étonne plus personne. Mais vous, les artistes, qu'attendez-vous pour défendre votre art ? Qu'espérez-vous donc ? Que D'Artagnan ou Tarek Ibn Zied se lèvent de leurs tombes pour se substituer à vous et se battre à votre place ? Ne rêvez pas. Si vous n'êtes pas capables de réagir tous et tout de suite, c'en est fini de vous, de nous, du mode de vie voulu par l'écrasante majorité des Tunisiennes et des Tunisiens, libres, sans tartufferie ni bigoterie. Personne, je dis bien personne, n'a le droit d'imposer ses diktats à notre société, quel qu'il soit, et surtout pas en se prétendant le protecteur de la religion. Car, justement, dans notre religion il n'y a pas de clergé, il n'y a pas d'intermédiaire entre l'être et son Créateur. Alors, de quel droit ces salafistes dont on ne sait d'où ils sortent, se permettent-ils tout dans l'impunité la plus totale ? Ils insultent, ils saccagent, ils agressent, ils appellent au meurtre, ils sèment la discorde et la haine, ils entravent la liberté du travail, ils insultent les journalistes, ils revendiquent la mise en liberté de ceux qui ont pris les armes contre l'armée tunisienne. Mais, que voulez-vous, il faut bien que jeunesse se passe, «ce sont nos fils, ils me rappellent ma jeunesse » a dit quelqu'un tandis que l'autre les a chaudement remerciés et félicités d'avoir bien voulu lever un sit-in de 50 jours devant le siège de la Télévision tunisienne, éclairés, paraît-il, grâce au vol de l'électricité via un poteau de la Steg et ravitaillés royalement, à ce que l'on dit, par des âmes charitables circulant à bord de somptueuses et nombreuses voitures. Personnellement je n'arrive pas à comprendre comment un gouvernement issu, qui plus est, d'une révolution dont les mots d'ordre étaient «liberté et dignité», scandés par les jeunes Tunisiens auxquels nous sommes redevables de la fuite du tyran, continue, sans états d'âme, à assurer une absolue impunité à une frange minime de la société, constituée par les salafistes et consorts, au détriment de la majorité absolue du reste de la société. Mais ce que je sais, ce dont je suis sûre, c'est que se laisser faire c'est trahir la révolution, c'est mépriser ceux qui sont morts pour que nous soyons libres. Alors, debout, les artistes. Défendez-vous, car nul ne vous défendra, en tout cas nul ne saura le faire et le dire mieux que vous. *(Avocate à la Cour de cassation, présidente d'Avec «Association vigilance et égalité des chances»)