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Orphée, ou la quête de l'éternité
Figures et concepts
Publié dans La Presse de Tunisie le 16 - 06 - 2012

Le thème de la survie de l'âme après la mort ne se retrouve pas dans toutes les religions. On peut en situer l'origine dans certaines régions du monde, d'ailleurs sous des formulations différentes, car il y a ceux qui affirment dans le même temps la préexistence de l'âme au moment de la naissance, au moment de son «incarnation», et ceux qui ne le font pas, se contentant d'affirmer sa survie après sa sortie du corps. Dans le premier cas, nous sommes dans les religions de la transmigration de l'âme, ou métempsycose, que l'on retrouve en Inde, tandis que, dans le second cas, nous sommes dans les religions de la résurrection, de ce dont nous parle le Livre des morts dans l'ancienne Egypte à travers le thème du voyage de l'âme à bord de la barque du dieu Ré.
Il est évident que la tradition monothéiste s'inscrit dans la deuxième catégorie. Mais la question de la résurrection de l'âme individuelle est tardive, beaucoup plus tardive qu'on ne croit. Elle demeure étrangère à la religion juive pendant de longs siècles. A telle enseigne que les Esséniens, qui représentent un groupe ésotérique au sein de la communauté juive, passent pour être ceux qui ont introduit cette conception de l'immortalité de l'âme dans le judaïsme. Or les Esséniens, dont nous parle l'historien Flavius Josèphe, sont présents durant la période qui précède de peu l'arrivée du christianisme. Leurs traces se perdent complètement au-delà du IIe siècle avant J.C.
En outre, la théologie juive se gardera d'emboîter le pas au christianisme et à l'islam autour de cette question de la résurrection, sans doute dans le souci de préserver son eschatologie qui insiste, elle, sur le destin du peuple au détriment de celui de l'individu. Même la question de la justice divine et de la rétribution des actes dans l'au-delà reste solidaire de cette conception «collectiviste».
Présence d'Osiris
En Grèce ancienne, la religion populaire ne fait pas non plus une place particulière à la question de l'immortalité de l'âme ou à celle d'un au-delà où s'accomplirait pour les humains, bons et méchants, la justice divine. La séparation entre Immortels, habitants de l'Olympe, et Mortels, vivant ici-bas, constitue le principe de base d'une conception à laquelle le philosophe Epicure apportera l'appui de sa position en affirmant un jour que les dieux ont bien d'autres soucis que de s'embarrasser des détails de la destinée particulière de chacun d'entre nous...
La justice, dans la religion grecque, se règle ici-bas et le soin n'en revient aux dieux que de façon exceptionnelle : dans le cas de héros dont la vie parvient à les sortir de leur indifférence... Ulysse, par exemple ! Si les hommes commettent des actes qui bouleversent l'ordre par leur violence, ce sont les Erinyes qui se chargent de rétablir les choses. Œdipe en est une illustration, lui qui paya ses actes commis, et sa descendance avec lui, d'une vie d'errance et de malédictions. Il ignorait pourtant l'étendue de leur gravité, car il ne savait pas que le vieil homme qui succombait à ses coups était son propre père, ni que la reine dont on lui offrait de partager la couche en rétribution de son triomphe contre le Sphinx était sa propre mère...
Quant aux enfers, ils existent, c'est vrai, sous la bonne garde du dieu Hadès, mais on y trouve rassemblés, pêle-mêle pour ainsi dire, les bons et les méchants parmi les hommes : tous sont là. Seulement ils sont sans âmes, sans vie... Des ombres, des traces, rien que les ternes rémanences d'une vie antérieure à jamais révolue...
Voilà pour la religion populaire. Or, à côté de cette religion, se sont formés des cercles de «dissidents» qui, à l'image des Esséniens chez les Juifs, ont donné un écho à l'idée de l'immortalité de l'âme. Le mythe d'Er, que l'on trouve au livre X de la République de Platon, est un exemple de ce que professaient ces cercles d'initiés.
L'orphisme représente le mouvement, par excellence, à travers lequel s'opère dans la culture grecque cette sorte de révolution religieuse. C'est tellement vrai qu'on assiste avec lui à l'émergence d'une nouvelle cosmogonie et d'un nouveau panthéon, simplifié, où une tendance monothéiste s'affirme à travers la figure d'une divinité jusque-là presqu'inconnue. Zagreus est en réalité une reprise du dieu Dionysos, revu et corrigé, si on peut dire, à travers la figure du dieu égyptien Osiris... Pourquoi ce remue-ménage ? Pourquoi l'irruption de cette nouvelle divinité ? Et pourquoi ce détour par Osiris, dont chacun sait qu'il est, dans la mythologie égyptienne, le dieu qui subit la mort, le dieu dont le corps est déchiqueté et les membres éparpillés ?
Le ruisseau couleur pourpre
Il semble que la découverte pour l'homme de la possibilité de l'immortalité de son âme passe par l'expérience spirituelle de la mort du dieu et de sa résurrection. C'est seulement sur les traces du dieu que l'homme accède, conçoit-il, à la vie au-delà de la mort. C'est un tel chemin en tout cas qui est montré par les religions païennes lorsqu'elles entament cette révolution particulière contre l'idée que le seul horizon de l'âme après la mort, qu'elle soit belle ou laide, bonne ou méchante, est celui de l'ombre, sans rémission.
Il faut que le dieu, du haut de son immortalité, traverse la mort et ses affres, et retrouve ensuite la lumière, pour qu'une voie s'ouvre aux mortels, pour qu'une issue s'offre qui permette d'échapper à l'impasse de la nuit sans lendemain. Le présupposé d'une justice divine qui se poursuit par-delà le dernier souffle de vie ne suffit pas, semble-t-il, pour réveiller les morts... On sait que le christianisme, religion monothéiste, ne manque pas de se plier à cette exigence à travers le paradoxe de la double nature de Jésus, humaine et divine, puis de la mort sur la croix : exigence rejetée de son côté par l'islam.
Dans le cas de l'orphisme, le destin tragique du dieu Zagreus est doublé d'un récit ancien au sujet d'Orphée : Orphée qui, lui-même, connaît un destin tragique. Comme le dieu, il est « déchiqueté »: lui dont le chant et la lyre envoûtent tous les êtres de la nature, y compris dans les profondeurs du monde souterrain, il est pris à partie par des bacchantes, toutes livrées à leur furie. Il est démembré : sa tête, arrachée, est portée par le courant du ruisseau couleur pourpre... Ce qui provoque la colère des bacchantes, en réalité, c'est qu'Orphée est prostré, anéanti. Depuis qu'il a perdu sa bien-aimée, il demeure là, inconsolé, privant le monde de son chant...
Le parcours d'Orphée mérite qu'on s'y intéresse de plus près si on veut comprendre comment une culture s'approprie une innovation religieuse fondamentale comme celle qui consiste pour l'âme humaine à avoir part à l'éternité.
Fatale curiosité
Retour en arrière. Orphée, raconte le mythe, est le fils de Calliope, la reine des muses, et du roi de Thrace Œagre. De par sa naissance, mais aussi de talents exceptionnels ainsi que de la bienveillance du dieu Apollon, qui lui a offert sa lyre, Orphée est le roi des musiciens. Nul ne l'égale et, nous le disions, il ne charme pas de son chant et de sa lyre les seuls humains : les animaux deviennent dociles à son écoute et le récit parle même des rivières qui quittent leurs lits pour le suivre et d'arbres et de montagnes qui se déplacent à son passage. Mais Orphée sait se mettre aussi au service de ses frères les humains : ainsi, lors d'une expédition vers l'Egypte, en pleine mer, l'équipage dont il fait partie est surpris par les sirènes. Leur chant, c'est connu, est irrésistible : il attire les navires vers les récifs où ils se fracassent et où les marins se font alors dévorer. C'est Orphée qui, couvrant le chant des sirènes par le sien, sauve l'équipage d'une mort certaine...
Or, voilà qu'un jour le jeune homme fait la rencontre d'une nymphe ravissante, Eurydice : il en tombe éperdument amoureux et, comme cet amour est partagé, il l'épouse. Mais à peine le mariage a-t-il lieu que la jeune femme, fuyant les avances d'un certain Aristée qui la surprend en l'absence de son mari, se fait mordre au pied par une vipère pendant qu'elle court dans les herbes folles. Sa mort est prompte. Le mari, lui, est désespéré. Il entreprend alors d'aller la retrouver dans les Enfers. Au bout d'un long périple, il parvient à l'endroit qui en sert d'entrée.
Puis, grâce à ses dons, il charme tous ceux qui se dressent sur son chemin en pénétrant le monde souterrain... Jusqu'à Hadès lui-même qui lui accorde, chose inespérée, de ressortir des Enfers avec sa bien-aimée. Le dieu assortit cela d'une condition, cependant : qu'Orphée ne se retourne pas pour voir Eurydice avant d'être parvenu avec elle à la lumière du jour. Orphée, bien sûr, accepte. Et le voilà, remontant en sens inverse le chemin menant aux profondeurs... Plus que quelques pas et il sera dehors, plus que quelques pas et il sera rejoint par celle dont il a désespéré de voir à nouveau le visage : est-ce possible qu'une pareille chose s'accomplisse ?
Le silence aidant, le doute le surprend l'espace d'un instant : Eurydice est-elle vraiment là, derrière lui ? Trop tard : avant d'y réfléchir, la tête a pivoté, le regard s'est porté vers l'arrière et l'irréparable a eu lieu... Eurydice n'est à nouveau plus qu'un spectre, ravalé aussitôt par les entrailles de la terre.
La mort pour délivrer de la mort
Orphée pouvait bien des choses grâce à ses dons, mais il n'avait pas le pouvoir d'échapper à l'emprise du doute qui assaille sans prévenir et qui brise le charme : c'était, pour ainsi dire, son talon d'Achille, celui par quoi il a perdu à jamais, non pas sa vie propre, mais celle de sa bien-aimée. Sauf qu'avec la vie de sa bien-aimée, c'est le goût à la vie qu'il a perdu en ce qui le concerne. Lui qui enchantait la terre entière, y compris dans le monde des morts, il ne pouvait rien pour se venir en aide : en plein jour, il ressemblait de plus en plus aux habitants des Enfers. Il n'était plus, c'est le cas de le dire, que l'ombre de lui-même.
A bien y réfléchir, Orphée ne pouvait pas ne pas se retourner. Redonner vie à ce qui est mort, cela n'est pas donné à un mortel. Le doute n'est ici qu'un visage de l'effroi, au fond. L'échec était donc fatal ! Mais le désespoir d'Orphée, paradoxalement, est le signe qu'il ne renonce pas. Si rien ne parvient à le distraire, c'est que son cœur persévère en secret.
En se livrant à la mort face aux bacchantes, il n'en est pas simplement la proie : il se libère ainsi de sa condition de mortel qui fut pour lui un obstacle, il se donne les moyens de retourner dans les Enfers sans crainte de céder, ni à l'effroi ni au doute... Ce faisant, il marche sur les traces de Dionysos, le dieu qui, parce qu'il goûte la mort, fait aussi accéder à une lumière sur laquelle la mort n'a plus de prise. Ainsi peut-il donner la vie, non pas seulement aux vivants, mais aussi aux morts !


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