• La Tunisie compte 4885 lieux de culte entre Jemaâ et Masjed L'affrontement pour le contrôle du champ religieux, entre le gouvernement et les courants radicaux, était inévitable. Il est en train de se durcir avec le bras de fer public entre le ministère des Affaires religieuses et cheikh Houcine Laâbidi, autoproclamé grand imam de la Zitouna. Le gouvernement, à travers les départements des Affaires religieuses et celui de l'Intérieur, essaie de faire appliquer la loi dans les mosquées, et d'asseoir son autorité dans tous les domaines relevant du champ religieux : lieux de culte, radio coranique, enseignement religieux... Avec beaucoup de difficultés. Eclairages. En réalité, cheikh Houcine Laâbidi n'est pas un imam- prédicateur (Khatib) de la mosquée Zitouna. Quand il y a donné des prêches, c'est sur la base du lancement de l'enseignement zeitounien. En fait, c'est à Ben Arous qu'il est imam reconnu et désigné par l'Etat. Problème, cheik Laabidi ne reconnaît pas l'autorité du ministère des Affaires religieuses. Selon lui, la décision de justice en date du 19 mars stipulant la levée des scellés sur la commission de oulémas de la Zitouna, libère la grande mosquée de fait de toute tutelle institutionnelle. En clair, le statut juridique de la Zitouna relève directement de la personne de Laabidi et de la «Macheikha», pas du ministère des Affaires religieuses, c'est la ligne de défense de l'avocat de M. Laâbidi. Toutefois, cheikh Laâbidi, ou l'imam El Akbar, comme il se désigne, confie une source autorisée au ministère des Affaires religieuses, est en pourparlers avec le ministère auquel il a transmis une vidéo complète de son dernier prêche. Le prêche à travers lequel il est accusé d'avoir appelé au meurtre, ce qui a conduit à son désaveu par le ministère. Son prêche a été selon lui coupé au montage, à son désavantage évidemment. Pour l'heure nous attendons la décision du ministre, nous indique la même source, seul habilité à octroyer les imamats et donc à décider si l'imam Laabidi aura le droit de prêcher de nouveau à la Zitouna ou pas. Par ses rappels à l'ordre et la publication de communiqués relativement virulents, l'Etat et son ministère des Affaires religieuses tente une reprise en main du champ religieux lequel commençait à lui échapper. Entre les sorties de l'impétueux cheikh Laâbidi et les dérapages de certaines mosquées, les institutions officielles essayent d'imposer le respect de la loi. M. Ali Lafi, conseiller politique auprès du ministre des Affaires religieuses, précise que «la première étape de souplesse observée au lendemain de la révolution est terminée, nous passons à la vitesse supérieure d'application de la loi en faisant appel aux forces de l'ordre, si besoin». Etat des lieux Le pays comprend 4885 lieux de culte entre jemaa où la prière du vendredi et le prêche se tiennent, et masjed, mosquées de quartier abritant les 5 prières. Selon la loi, toutes ces mosquées sont sous l'autorité directe du ministère, le seul habilité à nommer les cadres religieux et à les démettre. Tout en n'étant pas considérés comme fonctionnaires de l'Etat, ces cadres et imams sont nommés et démis sur décision du ministère. Pour l'exercice de ses fonctions, l'imam perçoit une prime mensuelle de 90 DT, s'il exerce une autre fonction. S'il ne travaille pas ou est retraité, la prime est de 150 à 200 DT. De plus, l'imam Khatib (prêcheur) doit être titulaire d'une licence ou d'une maîtrise en sciences islamiques. Dans les régions où cette condition ne peut être satisfaite, l'imam potentiel passera un examen devant un jury désigné par le ministère. En plus de ces exigences, il devra connaître par cœur entre 4 à 5 (hizb) du Coran, il devra être favorablement jugé par la population, ne doit pas avoir d'antécédents judiciaires et doit enfin se prévaloir d'une moralité exemplaire. Une fois ces critères réunis, une décision d'imamat est délivrée. Les orientations idéologiques ne semblent pas être du ressort du ministère, tient à préciser M. Lafi : «Nous n'avons pas de problèmes avec les orientations idéologiques des imams, s'ils respectent la loi et les spécificités de la société tunisienne. S'ils répondent aux critères scientifiques exigés, les salafistes sont acceptés comme les autres. Les idéologies des personnes ne nous concernent pas». A l'heure actuelle près de 400 mosquées souffrent d'irrégularités différentes, administratives, vacances d'imamat, défaillances de fonctionnement, ou encore domination salafiste. Selon le conseiller politique, près d'une vingtaine dans le pays sont traversées par le courant radical dont celle de la Cité El Ghazala, de Jendouba, Kabaria, Sejnane, et bien d'autres. Lesdites mosquées seront traitées au cas par cas. Par exemple, pour résoudre le problème de la mosquée de Sejnane, M. Lafi s'est déplacé en personne pour y placer un jeune imam qui fait l'objet d'un consensus entre les différentes parties. L'imam de la mosquée de Rahma de Jendouba, lui, a été arrêté par les forces de l'ordre à cause de ses derniers prêches. Tout doit se jouer avant Ramadan Depuis un moment, le ministre Noureddine Khadmi multiplie les déclarations en promettant que le ministère se chargera de régulariser la situation de toutes les mosquées avant Ramadan. Des commissions d'investigation visitent pour l'heure les mosquées, des conseillers religieux «wouadh» chargés de les surveiller et d'alerter le ministère si les prêches ne sont pas conformes, sont au nombre de 500, leur nombre est appelé à augmenter. Une commission tripartite formée par des représentants du ministère des Affaires religieuses, de la Justice et de l'Intérieur est en train de voir le jour pour renforcer l'application des décisions de l'Etat. «Nous ne sommes pas un soleil qui va briller d'un seul coup sur l'ensemble du territoire», se croit obligé de dire M. Lafi, mais nous allons procéder par étapes. Quand un imam désigné par le ministère est chassé par les fidèles, la loi considère ce fait comme un outrage à un fonctionnaire dans le cadre de l'exercice de ses fonctions. Celui qui ne respecte pas la loi doit savoir que ce sont les forces de l'ordre qui la lui feront respecter». Au-delà de cet habillage politique rassurant, une question fondamentale subsiste : comment les imams-prédicateurs salafistes peuvent-ils respecter les spécificités de la société tunisienne, son mode de vie, ainsi que les institutions républicaines de l'Etat, et prêcher en même temps les dogmes salafistes ? N'y a -t-il pas un paradoxe à soulever ? Si l'imam salafiste dans ses prêches va faire l'apologie du salafisme, la seule orientation religieuse vraie à ses yeux, en tant que pratiques religieuses et mode de vie, il entrera en contradiction de fait avec les fondamentaux de l'Etat tunisien, telles la démocratie, la tolérance, la liberté de conscience, et l'égalité homme -femme, sans parler du choix d'un mode de vie spécifique. De plus, l'islam d'orientation salafiste est en contradiction totale avec l'islam malékite modéré, réformé, tunisien qui puise ses sources ailleurs que chez les exégètes salafistes et autres prédicateurs wahabites qu'ils soient contemporains ou anciens. Comment peut-on considérer alors que les orientations idéologiques des imams ne soient pas du ressort de l'Etat? Comment accepter des prêches de takfir, d'appels à la haine, des prêches qui prétendent que la démocratie est kofr, une mécréance ?