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Al-Bouraq, ou le voyage secret
Figures concepts
Publié dans La Presse de Tunisie le 29 - 06 - 2012

Entre le moment où le Prophète, encore jeune homme, éprouve les premières visions et les premières paroles dont il s'aperçoit que leur production obéit en lui à un processus mystérieux et, d'un autre côté, le moment où l'islam se pose face au monde comme une religion à vocation universelle, mais ancrée quand même dans le monde arabe, dans son paysage naturel et culturel, il se passe toute une série d'événements dont certains comportent un enjeu décisif.
L'Arabie du VIIe siècle était une enclave polythéiste dans un Moyen-Orient partagé entre une domination byzantine, donc chrétienne, et une domination sassanide, donc zoroastrienne. Mais c'était une enclave pénétrée par le monothéisme. De deux façons d'ailleurs. Première façon : il y avait, mêlées aux habitants, des populations chrétiennes et juives. On sait par exemple que la ville de Médine abritait une communauté juive importante. Deuxième façon : les croyances religieuses de l'époque admettaient l'idée d'un lien avec le judaïsme, d'une parenté de sang, puisque les deux peuples auraient un ancêtre commun, Abraham, ou Ibrahim. Le récit de la Genèse, dans la Bible, en parle et rapporte le départ d'Agar et de son fils Ismaël vers l'Arabie... Côté arabe, cette même ascendance était affirmée, baignée cependant dans le culte des idoles. Les figures d'Abraham et d'Ismaël étaient présentes à l'intérieur de l'espace sacré, autour de la Kaaba. Il ne s'agit donc pas d'une reprise tardive, postérieure à l'arrivée de l'islam, du récit biblique... Il y a lieu de penser même que des récits anciens existaient qui évoquaient un voyage effectué par Abraham à la Mecque pour rendre visite à son fils et sa mère...
Mais il est évident aussi que ce thème sera repris ensuite et enrichi dans un sens qui renforce la filiation religieuse de l'ancien monde arabe par rapport à la tradition biblique. On peut douter par exemple que les Arabes en leur période polythéiste aient admis l'idée que leur centre religieux, avec ses 360 idoles, a été construit ou reconstruit par le père du monothéisme : c'est aller trop loin ! Ou que la première pierre fut posée par Adam à l'aube de la Création, alors que le personnage d'Adam était étranger à leur univers de croyance... Mais le contester ne doit pas non plus mener jusqu'à nier la présence de la figure d'Abraham, d'Agar et d'Ismaël dans la pensée religieuse de l'Arabie préislamique, ni de certains récits qui se rapportent à leur geste.
Le lieu d'un tournant
Il n'empêche ! Lorsque le Prophète acquiert la certitude de sa mission, se pose pour lui la question de savoir dans quelle lignée l'inscrire. Car il est clair que, dans sa tonalité comme dans son contenu, le message dont il est porteur ne saurait s'insérer dans l'univers religieux qui l'environne. Sans doute que l'hostilité à laquelle il fait face durant les premières années de prédication de la part des habitants de la Mecque achève-t-elle de le convaincre que, malgré le lien abrahamique, l'ancrage ne pourra se faire sans une sorte de décalage. Au fur et à mesure que se déroule l'expérience de la révélation se confirme par ailleurs l'existence d'une consonance avec de grandes figures qui appartiennent à la tradition juive, celle de Moïse en étant certainement la plus importante. Il y a comme un jeu d'échos qui s'établit même entre la révélation dans la bouche du Prophète et le récit de certains épisodes bibliques... Il est vrai qu'une forme de similitude de situation rend naturel ce jeu d'échos... Mais de là à engager l'opération de l'arrimage à une tradition qui a ses propres fidèles et ses propres représentants, voilà ce à quoi le Prophète ne parvient pas à se résoudre. La conjonction des paroles et l'unité de la mission poussent, certes, dans ce sens, mais une telle décision attend un signe fort... Ce signe finit par arriver sous la forme d'une vision, que rapporte le texte du Coran : c'est celle d'un voyage de nuit, du sanctuaire de la Mecque à celui de Jérusalem. Ainsi parle le texte : «Gloire à celui qui, de nuit, a fait voyager Son serviteur de la Mosquée sainte à la Mosquée la plus éloignée, dont nous avons béni l'enceinte, pour lui montrer Nos signes. En vérité, Il est l'Entendant et le Voyant.»
Dans sa concision, le verset marque un tournant. Un tournant qui sera suivi par d'autres, et en particulier celui à l'occasion duquel la qibla, le point vers lequel se tourne la prière, sera ramené de Jérusalem à la Mecque. Ce qui interviendra quelques années plus tard, après la migration vers Médine... Après la découverte que la communauté juive qui se trouvait dans cette ville rejetait son offre d'une alliance religieuse.
Dans le Coran, il n'est pas fait mention de ce voyage nocturne (Is'ra) en dehors du verset cité. En revanche, il existe un hadith qui le prolonge et qui donne au voyage une dimension supplémentaire, puisqu'il relate une ascension au ciel du Prophète à partir de Jérusalem (Mi'raj) : ascension au terme de laquelle, et à la faveur d'un face-à-face entre le Prophète et Dieu, se trouve fixé le nombre de prières dont le fidèle musulman doit s'acquitter tous les jours. Ce hadith aurait été rapporté par un Compagnon du Prophète, Anas Ibn Malik, qu'il faut distinguer de Malik Ibn Anas, père du malékisme, branche juridique du sunnisme dominante sous nos latitudes.
Stratégie du détour
C'est le hadith également qui, d'emblée, évoque dans un langage plus imagé la figure de cet animal légendaire qu'est Al-Bouraq : cheval ailé qui aurait servi de monture au Prophète pour son voyage nocturne... Le texte le décrit comme étant de couleur blanche. Quant à sa taille, elle n'est pas celle d'un cheval : à mi-chemin entre celle de l'âne et celle du mulet. Le texte, consultable dans le recueil de Moslim (Sahih Moslim), précise que le coursier faisait des bonds jusqu'au point où se fixait son regard à l'horizon... Au-delà des différences — évidentes — que cette monture présente avec un Pégase, par exemple, il est clair que nous sommes ici dans l'univers du légendaire. Le Prophète, qui s'adresse à un auditoire sensible par sa culture et ses habitudes à tout ce qui relève du merveilleux, et qui pourrait manquer de saisir la portée extrême d'une vision fugace, tente de restituer par l'image ce que le moment comporte d'extraordinaire. Nous sommes donc dans le registre de la pédagogie, de ses ressources, voire de ses expédients ou de ses détours... Détours par l'univers du paganisme et de son mode d'expression pour, en définitive, obtenir l'adhésion autour d'une option qui engage vers la sortie du paganisme et l'entrée dans un projet religieux à dimension universelle.
Al-Bouraq incarne donc ce mouvement qui, en faisant retour vers le lieu proche de l'héritage païen, tourne les nouveaux croyants vers le lieu, plus éloigné, qui symbolise l'héritage monothéiste. Mais il fait signe aussi vers cette «plasticité» du discours de l'islam naissant qui, pour affirmer son autorité, doit faire face à plusieurs adversaires et qui, en fonction des circonstances du moment, puise dans tel ou tel registre... Car il n'y a pas que le registre pédagogique de l'image, il y a aussi celui de la menace et de l'admonestation, celui de l'attraction et de la séduction, celui de l'encouragement à la persévérance...
L'ultime périple
L'islam est une religion de la fulgurance. Il fait irruption dans un monde qui lui est hostile et il va devoir mobiliser les moyens à sa disposition pour vaincre les obstacles qui se dressent sur son chemin. La sagacité dont il fait preuve pour y parvenir ne doit pas être prise pour autre chose que ce qu'elle est. Elle ne doit pas être mise sur le compte du contenu du message lui-même, dans une logique qui consiste à mélanger aveuglément les fins et les moyens devant permettre de les atteindre ou de les consacrer... C'est toutefois ce qui est arrivé : dans un mouvement de zèle excessif, on a conféré une tonalité sacrée à des paroles et des gestes qui n'avaient pas d'autre sens que d'amener un ordre nouveau à triompher de ses difficultés et d'accéder enfin à la lumière. C'est seulement à partir de cet ordre nouveau qu'il convenait pourtant de puiser la matière nouvelle du sacré.
On raconte qu'Abraham a utilisé, lui aussi, Al-Bouraq pour la visite qu'il a rendue à Agar et Ismaël... Un voyage symbolique par quoi le monde de l'Arabie préislamique a affirmé une filiation discrète avec une tradition qui lui était apparemment étrangère. En empruntant la même monture, le Prophète a affirmé de son côté son droit à prendre à son compte une tradition abrahamique, dès lors qu'il s'était mis expressément sous l'autorité du même Dieu que celui auquel s'était voué l'ancêtre... Il resterait peut-être un ultime voyage : celui qui permettrait au croyant musulman — le croyant d'hier comme le croyant d'aujourd'hui — de remonter toujours vers l'essentiel du message et d'en approfondir l'intelligence, par-delà l'accumulation des paroles et des gestes qui ont été dictés dans l'urgence d'une situation d'adversité extrême. Car sans cet effort, le processus d'appropriation reste inachevé... Superficiel et inachevé !


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