Par Kamel ESSOUSSI* Lorsque le président du Conseil constitutionnel égyptien annonça la victoire de Morsi, les islamistes de joie se congratulèrent, leurs opposants de dépit pleurèrent et tous les Egyptiens doivent malgré tout être heureux puisque, à mon sens, c'est une catastrophe qu'ils évitèrent. C'est que les esprits chauffaient avant cette annonce, entre les partisans de Morsi et Chafik. Une défaite du candidat des islamistes était suspectée d'avance de détournement des objectifs de la révolution, et une victoire de Chafik ne pouvait être perçue en conséquence que comme un retour de l'ancien système de Moubarak. Mais tout est bien qui finit bien. La bourrasque du chaos tant redouté est évitée. L'élection de Morsi calme vainqueurs et perdants. Les partisans de Morsi diront que la révolution – ouf ! — n'a pas été confisquée. Les partisans de Chafik se consoleront en disant que, tout compte fait, c'est la loi des urnes. En fait, et à bien scruter les manœuvres politiques qui se tramaient en douceur avant ces élections, on s'aperçoit que le Conseil militaire égyptien avait bien pris soin de déblayer, baliser, préparer le terrain pour que toutes les cartes restent entre ses mains. Une annulation des législatives et une dissolution conséquente du parlement d'une part et, d'autre part, un élargissement de ses prérogatives aux affaires économiques et sociales furent ses décisions les plus drastiques. Morsi est président de l'Egypte aujourd'hui, certes, mais quelles sont ses prérogatives et en quoi va-t-il pouvoir changer les choses? Sur quels supports institutionnels va-t-il donc pouvoir s'appuyer pour faire aboutir ses idées et la politique qu'il préconise ? Sur quel gouvernement devra-t-il compter pour exécuter les lois si le parlement censé les voter est dissous ? Quelle constitution légitimera son règne quand on est face à une constitution obsolète, cousue main à la «moubarkienne» ? Oui, Morsi est bien le président élu du plus grand pays arabe. Mais il y a fort à parier qu'il est maintenant seul, coupé de ses bases, qu'il ne pourra plus ameuter comme à son accoutumée sur la place Tahrir pour faire pression sur les généraux qui veillent au grain. Oui, Morsi est bien assis sur son trône au palais doré de la Présidence, mais seul face au tout-puissant Conseil militaire, sans majorité parlementaire à sa solde pour concrétiser sa politique, faute de parlement, sans pouvoir réglementaire que le Conseil militaire a bien pris soin de confisquer avant terme, sans pouvoir judiciaire, du moins assaini... En somme, sans instruments institutionnels, ou alors avec des institutions qu'on a pris soin de démonter auparavant pour les rendre inutilisables. Et si on comparait tout cela à nos élections du 23 octobre ? Rien à voir avec l'Egypte, dont la révolution est sous perfusion militaire envahissante jusqu'à l'asphyxie. Notre armée est républicaine jusqu'à la moelle des os, notre assemblée élue dans la transparence légifère en attendant qu'elle nous concocte notre nouvelle constitution, notre gouvernement formé de la Troïka décide. L'opposition est virulente et la société civile agissante. Tout un arsenal, un ensemble d'institutions provisoires, certes, mais hautement fonctionnelles pour permettre la continuité d'un pouvoir civil, et qui constituent les ingrédients indispensables d'une saine démocratie future. Non la maison Tunisie est plus coquette, plus fonctionnelle, mieux gérable, avec une possibilité d'entente familiale évidente entre ses membres. La maison Egypte est tout le contraire, plus bruyante, plus hétéroclite dans ses croyances et ses mœurs, située dans un quartier explosif où le voisin Israël fait souvent des siennes. C'est peut-être pour ces raisons qu'un pouvoir autoritaire des généraux est seul à même d'y mettre un peu d'ordre.