Par Taha BELKHODJA * Le ministère actuel du Développement régional n'arrive pas encore à s'imposer : nous ne le répéterons jamais assez, la solution est unique. Il faut tout simplement qu'il se charge du département des gouverneurs. Dans le prochain gouvernement, il y aurait à prévoir un vice-Premier ministre, ministre du développement régional et de l'aménagement du territoire. Il faut absolument mettre en valeur ce ministère du développement régional et lui donner beaucoup plus d'autorité ainsi qu'une marge de manœuvre plus large et mieux appropriée pour l'aménagement du territoire, dont les technocrates connaissent bien l'intérêt. C'est ça le changement opportun postrévolutionnaire qu'il faut encourager. On a tous vu dernièrement des groupes de ministres se déplacer dans les régions. Ce n'est pas comme ça qu'on arrive à convaincre la population. Quoi que vous fassiez messieurs, on ne croit pas à ce que vous dites : il y a un manque de confiance qui s'est déjà installé. Il faut que le représentant de la région fasse lui-même la demande et fasse part à ses administrés du résultat. Il faut leur faire sentir la décentralisation réelle et plausible à travers des gouverneurs élus parmi eux. Les gouverneurs seront désormais sous l'égide de ce nouveau ministère du Développement régional et de l'aménagement du territoire. Le chef d'orchestre sera donc le Gouverneur, originaire bien sûr de la région et élu par ses « autochtones ». Pour cela, il faut la reprise immédiate de l'Isie, qui n‘aurait d'ailleurs jamais dû arrêter les inscriptions des électeurs, en collaboration avec les délégués, pour organiser dans les semaines voire les jours à venir les élections des conseillers régionaux. Certes, la volonté politique existe, mais on ne voit rien de concret. Ceci est plus qu'urgent, il y a un vide institutionnel très préjudiciable. La nature a horreur du vide, les conséquences sont là. Nous avons bien réussi les élections de l'Assemblée Nationale Constituante ; nous avons aujourd'hui l'obligation de réussir les élections des Conseils Régionaux et, ainsi, les membres élus vont élire à leur tour, et parmi eux, les présidents de ces conseils, soit les Gouverneurs selon leurs compétences. Les conseillers régionaux seront élus au suffrage universel direct au scrutin uninominal majoritaire, les candidats qui obtiennent le plus grand nombre de suffrage seront élus. Un Gouverneur ne peut pas être nommé mais élu, et même révoqué par les conseillers régionaux, indépendamment du gouvernement et de toute tendance partisane. Ceci nous permettra ensuite de poursuivre avec les élections municipales... Cette situation d'anarchie totale, de saleté dans les villes, de construction sur les trottoirs et de vide absolu ne peut pas continuer encore des semaines, il faut absolument arrêter cette hémorragie avant que la situation ne devienne ingérable, les délits s'accumulent. Nous disposons d'un Code d'Incitation aux Investissements qui privilégie les zones défavorisées. L'investisseur peut bénéficier d'encouragements fiscaux très attractifs. C'est une sorte de «Paradis fiscal» ayant les mêmes avantages que les entreprises exportatrices afin d'assurer la pérennité du développement régional dans ces zones oubliées autrefois. Comme il faut que l'Etat renforce l'infrastructure routière desservant ces zones et implante des unités de formation professionnelle, selon les besoins spécifiques locaux. Une fois les banques installées et toutes les mesures d'accompagnement établies, dont surtout la sécurité, c'est au gouverneur et à lui seul de mener à bon port son gouvernorat. Ainsi le gouverneur, doté de tous les moyens et maître à bord, doit veiller à l'application des décisions du gouvernement et il a obligation de développer son petit Etat en collaboration avec les délégués et les Omdas qui auront désormais un rôle très important à jouer dans la construction de leur région et son développement. Dans le cadre d'un développement économique viable, socialement équitable, écologiquement rationnel et d'une péréquation entre les gouvernorats voisins, il serait très souhaitable de les regrouper en cinq zones, selon les intérêts mutuels communs, soit : – 1er zone, Nord-est : gouvernorats de Ben Arous, Bizerte, la Manouba, Nabeul, Tunis et Zaghouan – 2e zone, Nord-Ouest : gouvernorat de Béja, Jendouba, le Kef et Siliana. – 3e zone, Centre-Est : gouvernorat de Kairouan, Mahdia, Monastir et Sousse. – 4e zone, Centre : gouvernorat de Gafsa, Kasserine, Sfax, Sidi Bouzid et Tozeur. – 5e zone, Sud : Gabés, Kebili, Medenine et Tataouine. Les gouverneurs de chaque zone constituent ainsi les membres du Directoire de Coopération Interrégionale «DCI». Ces DCI s'organisent et tiennent des réunions hebdomadaires en vue du développement durable de leur zone. La présidence du DCI est assurée par roulement entre les gouverneurs d'une même zone pour une période de 6 mois. Les cinq gouverneurs, présidents en exercice de ces directoires, assisteront aux réunions du Conseil des Ministres. C'est comme cela qu'on arrive à démontrer réellement au peuple que, malgré les moyens financiers limités de l'Etat, les populations régionales ont des représentants élus, qui assistent au Conseil des Ministres pour transmettre leurs doléances et défendre leurs intérêts. Cette nouvelle stratégie de gestion ne tarderait pas à donner ses fruits. Ces gouverneurs, choisis par les autochtones eux-mêmes et disposant des programmes d'investissement du gouvernement, ont une obligation de résultat : la balle est désormais dans leur camp. Sachant que plus de la moitié des Tunisiens n'ont pas leur certificat d'étude, il est évident que la révolution a été mal comprise de la part de bon nombre de nos concitoyens. Des cellules de crise régionales auraient dû être constituées dès le premier gouvernement Ghannouchi, et ainsi expliquer les bienfaits et les risques d'une révolution, le sens de la liberté et le respect des autres, le droit au travail, au logement - qu'on appellera plutôt le droit à la propriété -, à la santé et au vote et la gratuité de l'enseignement. Il y a une confusion entre droit et gratuité que nous constatons tous, même certains journalistes ne font pas la différence. A titre indicatif, le droit au logement, c'est quand vous achetez un appartement et que personne ne peut vous le prendre : ce que Guaddafi avait fait. «el baytou li sékinihi» : on vous enlève votre bien et vous perdez vos droits. Comme il faut savoir que même les pays qui sont des symboles des Droit de l'Homme ne donnent pas de logement gratuitement. Mais il existe plutôt des aides aux logements. Compte tenu de ce qui précède, il est impératif aujourd'hui de commencer la décentralisation réelle et, ainsi, de faire se constituer localement les « cellules du salut » qui doivent être installées dans les casernes militaires de chaque gouvernorat. Ces cellules, en contact direct avec les citoyens, regrouperont au moins trois doyens (les plus influents de la région), un chargé des dossiers des martyrs et blessés, un sociologue, un économiste, un juriste, un représentant des affaires sociales et de l'emploi, un représentant de la Bts, de l'Api, de l'Apia, etc... ainsi que toute personne dont la population fera la demande et, bien sûr, présidées par les délégués, les représentants officiels du ministre du Développement régional et de l'aménagement du territoire. Les citoyens n'auront plus à se déplacer à la capitale Tunis. Je partage tout à fait l'avis des habitants de certaines régions telles que Gafsa, où il existe des gisements miniers ayant éventuellement des effets de pollution sur l'environnement et, donc, qui nuisent au confort de la population locale. Je suggère que la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) soit affectée directement au budget réservé à ces zones. En effet, ces habitants ont le mérite d'avoir mis en valeur ces ressources naturelles et il est de leur droit de prétendre à des améliorations de leur localité et, ainsi, il devient de leur intérêt de défendre leur entreprise, puisqu'une part des revenus sera réinvestie localement. L'opération, très ambitieuse, des 30.000 logements sociaux, suite aux recensements déjà établis qui doivent être obligatoirement confirmés et soutenus par les gouverneurs élus, pourra faire l'objet d'une première action en faveur des populations des zones défavorisées. Cette opération pourra être menée à bon port avec l'aide de ces cellules du salut : elles sont bien placées pour effectuer le suivi localement, en collaboration avec les instances administratives centrales. Le maître d'ouvrage étant le gouverneur. Mais attention aux squatters : la Snit n'a pas encore évincé les logements squattés voilà plus qu'une année, bien qu'elle soit en possession de jugements en sa faveur. La sécurité doit donc être rétablie avant le premier coup de pioche ! Sachant que les Foprolos 1, 2 et 3 ne consomment même pas 25% de l'enveloppe dudit fonds, je suggère, en cette période postrévolutionnaire cruciale, la création du Foprolos zéro (0) : un don en nature, d'une valeur située entre 5 mille et 7 mille dinars de matériaux de construction, pour faire face à l'urgence de la « dégourbification », en encourageant l'auto-construction assistée, favorisant ainsi même l'éco-construction en utilisant les matériaux locaux. Dieu merci, nous avons des associations Eco-construction tunisiennes, de quoi en être fier. Le Partenariat Public / Privé (PPP) doit désormais faire obligatoirement appel à la participation de la société civile, pour assurer la pérennité de nos objectifs. Le PPP deviendra alors Partenariat Public / Privé / Société Civile, soit le 3PSC. La société civile étant le cinquième pouvoir incontournable, il ne peut y avoir de développement durable sans elle.