Depuis quelques semaines, le pays connaît un nouveau cycle de contestation des prestations municipales, rappelant celui qu'on a vécu en début d'année lorsque les éboueurs ont décidé de faire grève et plonger le pays dans les ordures... Aujourd'hui il ya une forte mobilisation pour faire le nettoyage. Et décidément rien ne va plus au sein de nos communes. En effet, le mandat d'un an accordé aux délégations spéciales a pris fin pour laisser plusieurs villes et communes plongées dans un flou total. La gestion quotidienne de nos communes risque de sombrer dans les abysses de l'oubli laissant nos villes pâtir dans une répugnante saleté. Sauf que cette situation que connaît le pays ne peut être que le fruit d'une graine semée durant le règne de l'ancien régime comme l'attestent plusieurs experts urbanistes à l'image de Mme Henda Gafsi, présidente de l'Association Tunisienne des Urbanistes qui, lors d'une conférence organisée récemment à Carthage, a présenté une analyse sur l'état des lieux de nos communes municipales avant et après le 14 janvier à travers une intervention intitulée :«Bâtir des villes pour y construire un avenir durable : villes durables, un concept à revisiter dans le contexte de l'après-révolution ?». Des problèmes de gouvernance urbaine : la corruption Selon Mme Gafsi : «Certes les villes sont des lieux stratégiques du développement durable et ce grâce à leur poids et rôle économique, leurs potentialités et atouts environnementaux, leurs richesses et potentialités humaines et culturelles et la mise en place des institutions et outils du développement durable», mais à cause de plusieurs problèmes tels que : «Un chômage massif des jeunes urbains, les disparités entre villes et à l'intérieur des villes et l'absence d'une démocratie locale, des problèmes de gouvernance urbaine (corruption, etc.) ainsi que les dysfonctionnements urbains (étalement urbain, gaspillage d'espace, atteintes graves à l'environnement, qualité urbaine souvent décevante, faible attractivité des villes, fragilités économiques et institutions urbaines faibles au regard des enjeux)», a déclaré Mme Gafsi. D'autre part, toujours selon Mme Gafsi , avant le 14 janvier plusieurs facteurs ont engendré des villes à deux vitesses et provoqué un soulèvement populaire: une concentration des grands projets sur le littoral (Ex : Lacs Nord et Sud, Ariana, Cité financière, Sousse Nord, zone Bouficha-Hergla), une spéculation foncière (accaparement frauduleux de terrains de l'Etat et sites archéologiques), une faible décentralisation de l'approche développement durable au niveau des gouvernorats sans capacités de planification du développement durable et des municipalités (des PIC sans vision de développement durable), des Agendas 21 locaux peu nombreux, pas d'appropriation, [...] et l'utilisation du développement durable comme slogan électoral. Avec l'avènement de la révolution de la dignité, toujours selon Mme. Gafsi, le changement politique et social opéré dans le pays a mis «à mal le concept de durabilité dans sa conception technocratique, formaliste» vu que la révolution tunisienne «témoigne d'une volonté collective de rupture avec le passé, montrant les limites d'une politique de développement (notamment urbaine) qui n'a pas tenu compte des aspirations légitimes d'un peuple : la dignité, la liberté et un développement démocratique (inclusif, équitable pour l'ensemble des régions, des catégories sociales et des générations et respectueux de l'intérêt général et du patrimoine collectif)». La décentralisation et la gouvernance locale en question Elle renchérit : «Certes, des efforts importants ont été déployés par les municipalités dans le domaine des équipements et services urbains, mais aujourd'hui, les municipalités sont appelées à répondre aux exigences de la démocratie et de vie meilleure des 2/3 de la population tunisienne, dont un quart de jeunes de 18 à 29 ans, alors qu'elles se trouvent dans une situation de crise : de légitimité ( avec des conseils municipaux dissous, et des délégations spéciales en sursis) et financière, aggravée par les besoins de remise en état des locaux et parcs d'engins municipaux détériorés par les émeutiers et de nombreux actes de sabotage perpétrés par des milices de l'ancien régime». De ce fait, toujours selon la présidente de l'Association Tunisienne des Urbanistes : «La contribution des villes au développement durable ne va pas de soi, elle exige: une meilleure maîtrise collective du développement (car c'est l'Etat, les maires et leurs équipes, les acteurs économiques et les citoyens et la société civile qui font la ville), une décentralisation effective (à inscrire dans la Constitution) et l'institutionnalisation du rapprochement administration-société civile». D'autre part, «la gestion du développement urbain dans une logique de durabilité suppose tout d'abord, le principe de l'intérêt général, au cœur des politiques et programmes publics: droit à des villes viables et équitables pour toutes et tous. Deuxièmement, l'association de tous les acteurs et les citoyens aux choix dont sera fait leur devenir et celui de leur ville. Troisièmement, que les gestionnaires des villes (mairie, commune ou quartier) soient au centre du processus. Quatrièmement, le développement des capacités de planification et de gestion des municipalités. Enfin, des démarches qui saisissent les interactions entre les différentes dimensions de la ville (environnement, économie, social, politique, culture...) pour amener une autre logique de développement», ajoute Mme Gafsi. Enfin, Mme Gafsi a tiré la sonnette d'alarme concernant les problèmes sanitaires que font face des communes municipales limitrophes aux frontières libyennes à l'image des communes de Dhehiba et de Ras Jedir. Ces deux communes étaient contraintes de gérer plusieurs facteurs : un flux anormal de réfugiés, des camps de fortune générateurs de déchets et d'épidémies sans parler de l'état de guerre de l'autre côté des frontières.