Au cœur de Tunis par un matin chaud et ensoleillé. Le matin, au mois de Ramadan, les réveils sont très difficiles, après les heures d'insomnie passées à digérer «l'iftar» et, quelques petites heures après, le «shour». Et cela se sent dans les rues de Tunis, encore presque vides vers 9h00, un jour de milieu de semaine. Le soleil, tel une chape de plomb, et la chaleur suffocante d'un mois de juillet, renforcent la léthargie des premiers jeûneurs qui s'engagent sans entrain dans les artères de la ville, qui pour rejoindre son lieu de travail, qui pour faire ses emplettes du jour avant que le mercure ne grimpe encore. Le gouverneur de Tunis, M. Adel Ben Hassan, sur une des radios nationales (RTCI), évoque plusieurs sujets préoccupants en réponse aux questions de l'animatrice. Il est question des ordures qui jonchent les rues, des constructions anarchiques qui poussent partout comme des champignons, du contrôle des prix qui n'arrêtent pas de grimper en cette première semaine de Ramadan. Des interrogations qui trouvent un début de réponse dans «une crise d'autorité» qui règne dans le pays, à tous les niveaux et dans tous les domaines. Effet de révolution, sans doute. Le gouverneur aura le courage de révéler que la campagne de propreté ordonnée par le chef du gouvernement n'a pas atteint ses objectifs à cause d'un manque d'équipements : «Les institutions publiques auxquelles nous avions demandé une aide logistique n'ont pas toutes répondu favorablement», a-t-il affirmé. S'agissant des prix à la consommation, dont la maîtrise a été promise par le chef du gouvernement pour le mois de Ramadan, ce n'est toujours pas l'accalmie. Le poisson, les viandes rouges et les fruits surtout caracolent en haut du hit-parade des prix; certains frisant même le ridicule. Touche pas à mon business Au Marché central, les poissonniers sont déjà en poste et les premiers clients, hésitants, scrutent les plaques d'affichage des prix, «brûlants», comme les qualifie cette ménagère. «Le poisson est inaccessible; pour le moment, je l'ai rayé de mes recettes ramadanesques», lance-t-elle. Du côté des étalages des fruits et des légumes, une banderole surplombe les allées principales. On y lit : «Les vendeurs des fruits et légumes demandent (aux autorités de tutelle, ndlr) la prolongation des horaires d'ouverture du marché municipal jusqu'à 19h00». Question d'accommodation à l'emploi du temps des fonctionnaires et des employés d'administration qui préfèrent rentrer directement chez eux à la sortie du travail, aux environs de 14h00, pour ressortir en fin d'après-midi, quand les températures deviennent plus douces, faire le plein de provisions et le bonheur de la famille réunie autour de la table de l'iftar. Sur les étalages, les plaques en bois, sur lesquelles sont mentionnés les prix, sont plantées au milieu des produits agricoles, bien en vue. Les agents du contrôle économique pourraient ne pas être loin. Selon le gouverneur de Tunis, quatre équipes de contrôle multidisciplinaires assurent le contrôle des prix dans la circonscription. Des dizaines d'infractions ont été relevées. Une ambiance tendue plane sur cette affaire des prix. Les commerçants, confrontés eux-mêmes à de nombreux problèmes, veulent appliquer leur propre vérité des prix. Ainsi, les plus récalcitrants parmi les vendeurs du marché municipal, raconte le gouverneur, en arrivent jusqu'à user d'ingéniosité pour exprimer leur mécontentement et leur refus du respect des tarifications en vigueur. Au passage des agents de contrôle économique, ces derniers couvrent leurs étalages, cachent leurs marchandises aux yeux des contrôleurs et arrêtent de travailler ou s'en vont. «A ce moment-là, les agents ne peuvent plus rien faire, ils ne peuvent pas les obliger à travailler», a-t-il indiqué. Tunis, en perte de splendeur A l'extérieur, du côté de la rue d'Espagne, trottoirs et chaussées sont déjà presque totalement envahis par les étals «clandestins». Ici, le commerce parallèle est roi. Les parties de chassé-croisé avec les agents municipaux n'ont plus raison d'être depuis la révolution. Placés devant les boutiques et les magasins, à longueur de rue, bloquant parfois l'accès aux commerces et aux immeubles, les étalages à même le sol donnent à la capitale l'image d'un souk hebdomadaire et l'impression d'une ville qui a beaucoup perdu de sa splendeur, de sa modernité. Les vendeurs, qu'on appelait à la sauvette, ont pris leurs aises dans l'espace public, ils agissent en maîtres absolus des lieux. L'équipement public en vient à être confisqué tel cet horodateur qui sert désormais de présentoir. Ici les prix sont libres et régulés par le marché, parallèle bien sûr. Et si le marchandage n'est pas toléré, les prix, eux, sont à la portée de tous, comme tous les articles made in China, indétrônables auprès des petites bourses. Et qui ont, encore, de beaux jours devant eux. Cette année, pour la première fois dans l'histoire, cafés et restaurants gardent leurs rideaux baissés pendant les heures de jeûne. Les «Fattaras» devront se débrouiller par leurs propres moyens. Ce n'est pas par hasard ni volontaire. A travers les ondes de la radio nationale, le gouverneur de Tunis explique qu'une circulaire émanant du ministère de l'Intérieur a interdit l'ouverture, pendant les heures de jeûne, des cafés et des restaurants situés en zones d'habitation. A en croire les réseaux sociaux, la circulaire aurait dépassé ses «prérogatives» et aurait été appliquée dans une zone commerciale moderne. A l'interrogation de l'animatrice, Fatma Zaïri, le gouverneur se soustrait subtilement pour, sans doute, ne pas dépasser «ses prérogatives» géographiques. Ainsi va Ramadan : doucement le matin, pas trop vite le soir.