Que n'a-t-on pas réclamé du théâtre dans les festivals, bien que rares sont les pièces qui drainent le grand public, exceptés les one man shows ou les stands-up. Même les journalistes, qui ne cessent d'appeler de tous leurs vœux pour que le 4e Art soit présent avec force dans les festivals, désertent souvent les pièces de plus d'un comédien. Le festival international de Hammamet, dont la vocation a souvent été théâtrale, programme des pièces de qualité qui restent boudées par le public. Faut-il comprendre que l'avenir de cet art vivant de la scène est menacé ? Lundi dernier, il y avait au menu de ce festival Tara ma Raeyt (Tu vois ce que j'ai vu) du Centre des arts dramatiques et scéniques de Médenine, mise en scène de Anwar Chaâfi, qui s'est produite face à des gradins vides. Pourtant, la pièce n'est pas dénuée d'intérêt. Chaâfi propose une forme de théâtre dense, très pratiquée et appréciée sur les scènes occidentales. Une voix off débite un texte en arabe littéraire traduit à travers une chorégraphie qui laisse les corps des comédiens s'exprimer avec liberté. Des images vidéo complètent la scénographie. La pièce raconte la souffrance d'un poète condamné à l'exil. Il partage l'embarcation de candidats en partance vers la rive nord. Mais ce voyage vers l'ailleurs semble connaître plusieurs complications. La barque subit des avaries et dérive durant plusieurs jours. Le poète se réveille sur un lit d'hôpital et raconte son calvaire dans un long poème qui constitue un élément important de la pièce. La vie et la mort, incarnées tantôt dans le réel et, tantôt, dans le virtuel. Un mélange de rêve et de réalité traverse un couloir clair-obscur où les corps se transforment en silhouettes qui s'agitent comme des éléments visuels abstraits. Anwar Chaâfi, récemment hospitalisé et à qui on souhaite un prompt rétablissement, a mis en scène cette pièce avec toutes ses tripes, car la douleur du poète est aussi un peu la sienne. Et si l'un (le poète) vit l'exil extérieur, lui (le metteur en scène) est condamné à un exil intérieur que seul l'art peut traduire. Une pièce sur la souffrance et le mal-être de l'artiste mêlés à ceux des candidats à l'émigration clandestine à la recherche d'un bonheur qui s'avère presque toujours un mirage, tout comme l'art qui n'est qu'illusion.