En exclusivité, les principaux points du protocole d'accord signé par trois ministres Aujourd'hui même ou au plus tard demain, le ministère des Affaires religieuses saisira le tribunal administratif pour ce qu'il est convenu d'appeler «l'affaire de la Zitouna». Vendredi dernier, le tribunal de première instance avait débouté l'Etat, statuant en référé, dans l'affaire des serrures pour vice de procédure. Le ministère et l'Etat ne comptent vraisemblablement pas céder. La question principale dans toute cette affaire est d'abord la gestion de la mosquée. L'affaire du changement des serrures par Cheikh Laâbidi est auxiliaire. Or la gestion de la Zitouna est une affaire principalement juridique qu'un tribunal ordinaire n'est pas en mesure de juger. Il est prévu donc qu'aujourd'hui ou demain, le tribunal administratif soit saisi. M.Sadok Arfaoui, conseiller auprès du ministre des Affaires religieuses, a déclaré à La Presse : «Je tiens à dire que la Mashikha qui s'autoproclame seule habilitée à superviser la mosquée n'est pas issue d'un congrès, de fait sa légitimité est contestée. Nous allons porter l'affaire devant le tribunal administratif», tranche-t-il. Rappel des faits Lors d'une cérémonie organisée par Cheikh Houcine Laâbidi en date du 12 mai, célébrant le lancement de l'enseignement zeitounien, un document a été signé par les trois ministres présents. Sans bien mesurer les conséquences, les ministres de l'Enseignement supérieur, des Affaires religieuses et de l'Education nationale avaient signé un protocole qui soustrait la mosquée Zitouna à l'autorité de l'Etat tunisien. En effet dans ce protocole, le premier, le deuxième et le huitième articles donnent plein droit à l'instance des oulémas pour être «seule gestionnaire des affaires internes de la mosquée Zitouna», qui est «un établissement scientifique éducatif islamique et indépendant non affilié». C'est ce document qu'ont produit Cheikh Houcine Laâbidi et ses avocats et qui a conduit au rejet de la demande présentée par l'Etat pour se réapproprier les locaux de la vénérable institution. Signer sans lire ! L'affaire est délicate et certaines sources qui ont requis l'anonymat regrettent que les ministres aient signé sans prendre le temps de lire posément et de soumettre le document aux juristes du gouvernement. Cheikh Laâbidi, selon ces sources, a joué et peut-être même trahi la confiance des ministres en introduisant, dans le document, plusieurs articles qui n'étaient pas prévus. Il faut savoir que la loi en date de 1971 qui organise les mosquées est toujours en vigueur. Cette loi ne peut être amendée que par une autre loi, et pour l'heure, seule l'Assemblée constituante est habilitée à légiférer, et personne d'autre, même pas «le chef du gouvernement». En outre, les avocats de l'Etat ont de leur côté décrété que ledit «protocole» signé par les ministres et sur lequel s'est basée la plaidoirie du Cheikh Laâbidi doit être soumis à une qualité juridique. Est-ce que c'est une loi, un décret, un arrêté, une circulaire. Ils préparent l'offensive juridique dans ce sens. Le plus dur dans cette affaire, toujours selon certaines sources anonymes, c'est qu'autour de Houcine Laâbidi plusieurs autres parties s'acharnent à mettre la main sur la noble institution. On parle de salafistes mais encore et vraisemblablement les avocats qui conseillent Cheikh Laâbidi relèvent carrément du Hizb radical Ettahrir. L'argumentation de Cheikh Houcine Laâbidi Interrogé par téléphone, Cheikh Houcine Laabidi précise que le document signé par les trois ministres annonce la reprise de l'enseignement zeitounien, et non le lancement. Par ailleurs, selon ses dires, la Zitouna a toujours été gérée par une loi fondamentale promulguée en 1933 et amendée plusieurs fois après. Le protocole du 12 mai, avec ses 9 articles, réactive selon lui cette loi fondamentale. Les trois ministres ont signé et donné leur accord sur la réactivation d'une loi existant déjà, avance-t-il. En réalité, il va sans dire que la hiérarchie des lois fait que la signature de trois ministres ne peut avoir force de loi. Cheikh Laâbidi poursuit son argumentaire : «Ce document fait effet d'un contrat entre deux parties, moi je représente une partie et les trois ministres représentent une partie. Et ajoute que le protocole d'accord a été enregistré le 21 mai 2012 à la recette des finances de Tunis. C'est un contrat entre deux parties dans lequel le ministère des Affaires religieuses n'est que le 1/3 de la deuxième partie et n'est pas en mesure d'effacer le contrat selon la loi tunisienne», de son point de vue. Maintenant que dit ce document, s'interroge méthodiquement notre interlocuteur «L'article premier stipule que la mosquée Zitouna est une institution islamique, scientifique, éducative et indépendante. L'article deux énonce que la mosquée Zitouna est une institution qui bénéficie de la personnalité juridique, et l'article 8 précise que la gestion des affaires internes de la mosquée, le choix de l'imam et du muezzin ainsi que la gestion des locaux de la mosquée et des 25 sections relève de la responsabilité du cheikh de la mosquée et de la masheikha et personne n'a le droit d'y interférer». Il ajoute en poursuivant un argumentaire selon lui implacable : «le ministère des Affaires religieuses considère que la Zitouna a le même statut que les autres mosquées du pays, or c'est une erreur, assène-t-il, en plus du fait que le ministère gère les affaires religieuses de toutes les religions et non pas uniquement celle islamiques. «Dans ce cas de figure, moi je peux donner une conférence dans une synagogue, et selon cette même loi Shimon Peres demain peut prétendre avoir le droit de donner une conférence à la Zitouna, étant une institution qui relève du ministère qui rayonne et gère toutes les autres religions. De fait, qu'est-ce qui rend la mosquée Zitouna islamique, c'est ce document qui l'extrait du pouvoir du ministère. Seul ce document octroie le caractère islamique à la Zitouna», conclut-il après cette curieuse digression. Ce sont les arguments que Cheikh Laabidi et ses avocats comptent faire valoir le jour J. D'un autre côté, une forte polémique agite une partie de l'opinion à travers les médias et les réseaux sociaux, dénonçant une mainmise sur l'historique de la mosquée. Beaucoup officiant à l'intérieur même des ministères pensent que l'Etat s'est bel et bien mis dans le pétrin. Les ministres ont signé un document sans prendre la peine de le soumettre aux experts juridiques habilités à débusquer les pièges. N'avaient-ils pas pris alors en considération que leurs signatures engageaient une nation, un peuple, son histoire et ses institutions ? Comment le prendre ? Incompétence ou machiavélisme ?