Par Abdelhamid GMATI Les Tunisiens vivent, ces temps-ci, dans la confusion et l'incertitude. Du moins une grande partie parmi eux. Certains craignent même l'insécurité. Des citoyens lambda de Bizerte déclarent avoir peur ; peur de sortir, de vaquer à leurs occupations. Ce, à la suite des événements violents qui ont eu lieu dans leur ville. Idem dans d'autres régions, comme Le Kef, Sidi Bouzid, Kasserine, Makthar, Gabès, Kairouan... Des événements qu'ils ont vécus eux-mêmes, sur place ; il ne saurait donc être question d'amplification ou d'aggravation, imputées aux médias. Les salafistes, jouissant d'une impunité évidente, multiplient leurs interventions violentes et leurs attaques virulentes contre les artistes, les manifestations culturelles et même les réunions politiques. En trois jours, ils ont empêché trois événements, s'en prenant à Lotfi Abdelli (à Menzel Bourguiba) à Lotfi Bouchnak (Kairouan) et même au militant palestinien Samir Kantar (Bizerte). Intervenant en maniant sabres, couteaux et gourdins, ils n'hésitent pas à frapper, faisant 5 blessés à Bizerte lors de la commémoration de la «Journée Al Aqsa». Aux artistes, ils reprochaient des positions «contraires à l'Islam», et au militant palestinien ses critiques envers Rached Ghannouchi leader d'Ennahdha. Récemment, à El Ayoun (gouvernorat de Kasserine), ils ont tenté d'empêcher un rassemblement du parti «Nida Tounès». Là, les habitants sont intervenus pour annihiler leur tentative. Le jour de l'Aïd, la prière spéciale a été effectuée en plein air et des mosquées ont été fermées. Ce qui a engendré aussi des perturbations et des violences. A ce propos, «le ministère des Affaires religieuses considère que «contraindre les fidèles à accomplir la prière de l'Aïd en dehors des mosquées et œuvrer à fermer certaines d'entre elles» est «un acte inacceptable moralement, légalement et même par la charia, de même qu'il va à l'encontre des fondements de l'Islam et constitue une source de discorde et de sédition». Mais il ne fait rien pour faire respecter la loi. Ce climat d'insécurité n'est pas seulement le fait des salafistes. Il provient aussi du comportement des autorités. Il intervient à la suite de manifestations pacifiques dans plusieurs régions, au cours desquelles des citoyens expriment leurs revendications et adressent leurs doléances au gouvernement. A ces manifestations légitimes et légales, les autorités répondent par des moyens disproportionnés. On l'a vu à Sidi Bouzid où les manifestants ont été tabassés. A Makthar, la répression s'est abattue sur les auteurs d'un mouvement de protestation contre la détérioration de la situation dans la région. Il y eut plusieurs arrestations, ce qui a engendré un nouveau mouvement de protestation pour leur libération ; ce qui fut fait. Le parti «Al Massar» a émis un communiqué dans lequel il dénonce «les pratiques répressives préparées par le délégué de Makthar et le gouverneur de Siliana connus pour leur allégeance au mouvement Ennahdha». A Sfax, l'Association des prêcheurs et des sciences théologiques et la section régionale de l'Association tunisienne des imams des mosquées ont publié un communiqué dans lequel elles considèrent que la situation actuelle et dans le futur au sein de l'Ugtt régionale est une déviation du rôle de cette organisation. Une autre façon de s'attaquer aux syndicats et de vouloir restreindre leurs activités et de leur dicter leurs actions. Et que fait le gouvernement face à toute cette insécurité ? Il clame que tout va bien et que le climat sécuritaire est bon. Mieux, les ministres et autres responsables jouent les pompiers, rivalisent d'explications oiseuses et essaient de minimiser les actes de violence des salafistes. Ainsi le ministère de l'Intérieur estime que les forces de l'ordre ne sont pas intervenues lors des événements de Bizerte (Journée Al Aqsa), car il y avait eu «une erreur d'appréciation». Mieux encore, un agent de sécurité de la région du Kef a été agressé par un salafiste, dimanche dernier, alors qu'il se rendait à son domicile. L'agresseur est le frère de l'un des salafistes incarcéré pour son implication dans l'agression du dramaturge Rajeb Makri. Et c'est l'agent de sécurité agressé qui...a été arrêté sur ordre du procureur, en congé. Toujours au Kef, le gouverneur de la région a dirigé la prière de groupes de salafistes. Proche du mouvement Ennahdha, il s'est expliqué en prétendant vouloir apaiser les tensions. De son côté, notre Premier ministre s'est trouvé, opportunément, présent lors d'une opération policière de saisie de boissons alcoolisées de contrebande. Les policiers ont été félicités et ont eu la promesse d'avoir quelques moyens de transport. Qu'il y ait quelques troubles quand on est en révolution peut être compréhensible. Mais là les violences deviennent quotidiennes et l'insécurité chronique, acceptée, tolérée, voire encouragée. Est-ce pour détourner l'attention des Tunisiens de leurs véritables problèmes ?