Ce n'est ni un métier, ni un passe-temps, mais peut-être les deux à la fois. Le pastoralisme à Beni Metir, ce petit village du nord-ouest de la Tunisie, est une activité assez particulière. Immersion dans la forêt, au milieu du pâturage, avec ces hommes et ces femmes amoureux de la nature, pour vous parler de leur activité, et des difficultés qu'ils rencontrent. Tous les jours, Abdelaziz, 58 ans, emmène pâturer ses 18 chèvres et 7 moutons dans la forêt du Djebel Gribissa. L'été a desséché la plaine de Mrighida, un haut plateau où les bergers ont l'habitude de se rendre. Il doit donc aller plus loin pour trouver de l'herbe fraîche. “Je suis vieux, mais je bouge beaucoup!", dit-il. D'un pas agile, Abdelaziz s'avance rapidement sur les pistes ombragées par les chênes liège et les chênes zène. Il est toujours suivi par ses chiens. Un groupe à la tête du troupeau, et un autre derrière. «Rey! Rey!» crie-t-il pour regrouper les animaux. Le terrain est accidenté, et l'on doit faire constamment attention aux crevasses et aux petits arbustes épineux, dénommés Gandoul en arabe. Les passages sont si étroits à quelques endroits, que l'on a l'impression de faire une immersion dans les feuillages odorants des cistes et des myrtes. Des troncs d'arbres sont jonchés sur le sol ça et là, abattus par la neige de l'hiver dernier. A certains moments, il faut se mettre à quatre pattes pour pouvoir traverser. Les pistes n'ont vraisemblablement pas été défraîchies depuis un moment. «La forêt la plus triste de la Méditerranée» L'entretien de la forêt se fait tout au long de l'année. Il est assuré par le service des forêts et les villageois. «La forêt tunisienne est la plus triste de la Méditerranée», regrette Ali Khelifi, technicien principal et chef de triage au centre des forêts de Beni Metir. Pour lui, la forêt de Khroumirie est très mal entretenue. «Les crédits alloués aux services des forêts sont loin d'être suffisants. De plus, les journées de travail sont octroyées par l'autorité locale, qui privilégie les personnes les plus en difficulté, et non pas les plus performantes» explique-t-il. Il faut savoir qu'une forêt mal entretenue, non accessible et non parcellaire, est plus vulnérable face aux menaces, en particulier le feu. Cet été, il y a eu pas moins de 30 incendies dans la forêt d'Ain Draham, dont cinq dans la zone de Beni Metir. Ces derniers jours, l'armée est intervenue pour éteindre des feux, que le technicien pense être d'origine criminelle. «Les incendies éclatent souvent à deux endroits différents, éloignés de plusieurs kilomètres, et à environ 15 mn d'intervalle. Le dernier incendie a eu lieu en pleine nuit, précisément à 23h15, dans un endroit très difficile d'accès. Et comme par hasard, les feux se déclarent toujours au niveau des résineux comme les pins, qui brûlent très vite». Pour sauver les forêts de Khroumirie, Ali Khelifi pense qu'il faut privatiser leur exploitation, et impliquer la population locale dans le processus. Ceci pourrait, selon lui, protéger les ressources naturelles et valoriser par la même occasion le travail de la forêt. Il préconise également de changer la réglementation en vigueur sur le «droit d'usage», notamment l'article 38 du code forestier, de façon à ce qu'elle intègre la notion de durabilité. Jeunesse désenchantée Wissem est l'un des rares de Beni Metir à faire de l'activité pastorale sa seule source de revenus, et de la mener alors qu'il n'a que 24 ans. Tous les autres bergers ont plus de 40 ans. Il semble que les jeunes se désintéressent de cette activité. Pire, ils la dénigrent. “Je ne suis pas vraiment passionné par mon métier, mais c'est toujours mieux que de rester dans les cafés à ne rien faire", confie le jeune homme. A 20 ans, le pastoralisme n'est pas une perspective qui enchante. Dans les années 1970, Abdelaziz avait lui-même senti le besoin d'aller voir ailleurs. "J'étais mort, j'avais besoin de vivre", explique-t-il. Il a donc choisi d'aller en Libye, pour y travailler en tant que tôlier pendant cinq ans. Il s'est ensuite rendu en Grèce, et a trouvé un emploi sur un bateau de marchandises. Sur son passeport, il y a les tampons de douane d'une dizaine de pays, qu'il a pu visiter grâce à ce travail. Un jour, sa famille n'en pouvant plus de son absence, lui a envoyé une lettre lui faisant croire que sa mère était mourante. «Elle est ce que j'ai de plus cher. En apprenant qu'elle était malade, je suis rentré au pays». Le retour a été difficile mais il a fini par "se ranger". Son défunt père lui a trouvé un travail à la Sonede, qu'il occupe jusqu'à aujourd'hui. Il s'est ensuite marié et a eu trois filles. «Parfois, je souhaiterais me faire pousser des ailes et voler vers ces endroits que j'ai laissés derrière moi. J'aimerais revoir ces gens en Grèce, qui m'ont aimé comme leur propre fils», dit-il avec amertume. Le pastoralisme, un mode de vie Abdelaziz a toujours été très attentif à tout ce qui l'entoure. «Je suis curieux par nature, j'ai tout appris des grands». Un berger qui se respecte connaît parfaitement le milieu où il évolue. Wissem sait reconnaître quantité de plantes qui poussent dans la forêt, et comment s'en servir pour se soigner. Lui et tous les autres bergers savent apprécier la beauté des paysages, et sont conscients de la richesse du milieu qui les entoure. Ils nourrissent également une relation forte avec leurs animaux. «L'animal me surprend toujours. Un jour il me fait rire, un autre il me réconforte», déclare Abdelaziz. Le berger possédait des vaches et ne jurait que par elles. «L'une des vaches, Nour, me léchait la tête au moment de la traite. Elle ne permettait à personne d'autre que moi de l'approcher», raconte-t-il. Le pastoralisme est une activité physiquement éprouvante, en plus d'être peu rentable. Mais quelque part, elle répond à la sensibilité et à la nature d'hommes et de femmes, qui ont fait de cette occupation un mode de vie. C'est presque un rituel pour eux, tous les après-midi, Wissem, Abdelaziz, et leurs voisins Tahar et sa femme Aicha, se retrouvent au même endroit dans la montagne, jusqu'à ce que le soleil commence à descendre dans le ciel. Perspectives «La vie serait parfaite ici pour les gens aisés. C'est à la fois calme et beau. Mais pour les petites gens, les conditions de vie sont extrêmement dures», confie Aïcha, 46 ans. Chez elle, Aïcha ne peut faire ni de l'élevage, à cause du loup, ni de la culture à cause des sangliers qui détruisent tout. «La forêt regorge de richesses, mais nous n'avons pas les moyens d'en profiter. Personnellement, j'aimerai exploiter les plantes aromatiques, mais le matériel pour la distillation coûte cher», dit-elle. Il y a une multitude de projets qui peuvent être développés dans la région, susceptibles d'améliorer la situation économique des habitants. Le pastoralisme en lui-même peut devenir plus rentable, en exploitant un nouveau filon : l'écotourisme. L'activité pastorale à Beni Metir a cette spécificité d'avoir le village comme point de départ dans l'espace, explique Abderraouf Ouertani, paysagiste. Or, ce village présente plusieurs particularités, de par sa taille à échelle humaine, son cachet, son histoire, qui a un lien étroit avec le barrage du même nom, et son emplacement, au milieu d'une forêt. Il présente par conséquent beaucoup d'arguments potentiellement intéressants pour les touristes. Pour le paysagiste, l'activité pastorale peut être un très bon moyen pour les visiteurs de découvrir certains aspects du village et ses environs. Mais il faudrait pour cela qu'il y ait une collaboration entre la municipalité, les villageois, et les gardes forestiers. En juin dernier, sous l'initiative de l'association Atlas, des groupes de bénévoles tunisiens et étrangers sont venus enseigner l'anglais aux jeunes du village pendant un mois et demi. Ils en ont profité pour suivre les bergers à la montagne. «C'était un échange chargé d'émotions», raconte Wissem. «Certains d'entre eux n'avaient jamais vu de mouton ou de chèvre d'aussi près, ou foulé le sol rocailleux d'une montagne. Il y en a qui sont revenus au village rien que pour revivre l'expérience. Pour ma part, cela m'a motivé pour améliorer mon anglais». Les habitants de Beni Metir n'ont pas besoin de charité, mais de coups de pouce pour les aider à s'auto-développer. Que faire avec la jeunesse désœuvrée que les vieilles pratiques n'enchantent pas ? Peut-être qu'un travail de sensibilisation, d'éducation et de valorisation pourrait contribuer à faire changer les choses.