Par Néjib OUERGHI En écrivant : «Lorsque l'on tarde pour la cueillette, les fruits pourrissent. Mais quand on repousse les problèmes, ils ne cessent de croître», Coelho nous renvoie, quoique indirectement, une image crue sur la situation qui prévaut en Tunisie. En effet, le pourrissement de la situation politique, économique et sociale se nourrit de l'absence de toute visibilité et de toute perspective qu'ont les Tunisiens, un an presque après les élections d'octobre 2011. On a l'impression que la Terre a cessé de tourner, tellement la situation n'a pas évolué significativement et toutes les attentes, qui ont accompagné ce scrutin, semblent être déçues. L'imbroglio dans lequel se débat notre pays s'explique, en grande partie, par la propension qui anime tous les acteurs politiques à privilégier la polémique et les querelles, plutôt que la proposition et la construction. Résultat : outre l'immobilisme, qu'on est en train de subir sur tous les fronts, l'on constate, dans le désenchantement, une dégradation générale de la situation et l'émergence de phénomènes inquiétants qui menacent l'unité du pays et les acquis dont les Tunisiens sont les plus fiers. Les débats de fond, qui auraient dû être animés notamment sur le modèle de société et de développement, ont cédé la place à des querelles interminables au sujet de questions qui divisent plus qu'elles ne rassemblent. La remise en question du statut de la femme dans la société, plus de cinquante ans après la promulgation du Code du statut personnel, la tentation qui anime certains courants de transformer la Tunisie en califat, la négation que les salafistes s'obstinent à imposer à toute expression intellectuelle et artistique libre, la violence qu'ils tentent d'exercer à l'encontre de tous ceux et de toutes celles qui ne partagent pas leur vision de la société et de la religion, ont relégué au second plan des questions fondamentales. Il en est ainsi de l'élaboration de la nouvelle Constitution de la Tunisie, de la recherche d'un consensus national sur la nature du régime politique et de la définition d'un modèle de développement alternatif susceptible de redonner confiance aux Tunisiens. Rien de tel n'a pu être réalisé et le pays ne cesse de s'enfoncer, de plus en plus, dans le doute et l'inquiétude. A l'évidence, l'absence d'une feuille de route claire, précise faisant l'objet d'un large consensus, à propos de l'achèvement de la rédaction de la nouvelle Constitution, la nature du régime politique et le déroulement des prochaines élections ont accentué le malaise, la peur et le flou. Aujourd'hui, toute une polémique est alimentée et entretenue à propos de la date du 23 octobre prochain que certaines parties considèrent comme une date butoir marquant la fin de toute légitimité de l'Assemblée nationale constituante et du gouvernement provisoire. D'autres considèrent, tout simplement, cette échéance comme un engagement moral à respecter ne signifiant nullement la fin de la légitimité ou de l'Etat. Certains, enfin, minimisent la portée symbolique de cette date en avançant que l'Assemblée nationale constituante est la véritable source de la légitimité dans le pays, ce qui l'investit de la responsabilité d'établir une feuille de route à même de concrétiser les ambitions et les attentes des Tunisiens pour la démocratie, la liberté et la dignité. Incontestablement, c'est la question de la continuité de l'Etat et des institutions qui se pose aujourd'hui avec insistance et qui divise plus qu'elle n'unit. Le risque de l'inconnue qui guette le pays après cette date, tantôt diabolisée, tantôt réduite à sa plus simple expression, exige de la part de tous de s'asseoir à la même table et de trouver une réponse consensuelle apte à sécuriser les Tunisiens et à achever tous les chantiers en suspens. Il s'agit de la finalisation de l'élaboration de la Constitution, de la réalisation d'un accord sur la nature du régime politique, la mise en place de la loi électorale et la fixation d'une date définitive pour le déroulement des prochaines élections. Cela suppose que toutes les parties placent l'intérêt du pays, sa stabilité et son unité au-dessus de toute autre considération. Cela requiert surtout de favoriser des convergences sur les questions essentielles et de reléguer au second plan les querelles politiques et électoralistes qui ont conduit le pays jusqu'ici à une voie sans issue. C'est par ce moyen, et ce moyen seul, qu'il sera possible de renforcer les fondements de la démocratie, du pluralisme, des droits de l'Homme, de la liberté, de la tolérance et du développement dans le pays. C'est également par ce moyen qu'on évitera au pays une tourmente qui l'installerait durablement dans la violence et l'instabilité et hypothèquerait gravement l'avenir de sa population. La détérioration des équilibres financiers du pays, les difficultés auxquelles fait face le secteur productif national, l'aggravation du chômage parmi les jeunes, le marasme que connaissent les régions intérieures du pays et l'altération de l'image de marque du site tunisien au plan international sont autant de signaux qu'il faut prendre au sérieux. L'absence de la Tunisie dans le classement du Forum économique mondial de Davos sur la compétitivité 2012-2013 est un signe qui ne trompe pas. La sonnette d'alarme est tirée sur la perception du climat des affaires en Tunisie. Pour reprendre sa place, notre pays est appelé à émettre des signaux clairs, révélant sa capacité de rebondir et à se remettre à l'ouvrage, mais aussi et surtout, à inspirer confiance. Cette dernière ne peut être construite que sur la base d'un projet politique, économique et social qui puisse renforcer la pratique démocratique, la modernité du pays et l'ouverture sur son environnement.