Demeurée fidèle à la mémoire de son mari, Yvette Ben Mahmoud cherche à tirer de l'oubli le souvenir du défunt La galerie Le Cap d'Artcom organise, depuis le vendredi 21 septembre dernier, une exposition dédiée à la mémoire de Amor Ben Mahmoud, un artiste de belle facture qui, au soir du 10 juillet 2010, a tiré sa révérence, plongeant dans un profond désarroi ses admirateurs français et tunisiens qui se comptent par milliers. Intitulée «Fragments d'un parcours», cette exposition est une occasion cousue d'or pour se remettre en mémoire les qualités d'un artiste hypersensible dont le talent semble, à plus d'un égard, transfigurer d'un éclat inaccoutumé et magnifier les lumières d'un jour naissant. Une sensibilité qui converge étrangement avec les objectifs du mouvement de libération nationale et qui aboutit en fin de compte à l'indépendance d'une Tunisie martyre. La ferveur extatique des débuts Nationaliste convaincu, il a cru en Bourguiba, le libérateur. C'est du reste à lui et à Hédi Selmi qu' a échu l'honneur de réaliser le Monument des Martyrs de Sedjoumi, représentant un patriote blessé par les forces coloniales, soutenu par une femme ; un hommage indirect au rôle joué par l'ensemble des Tunisiennes dans leur combat pour l'Indépendance. Nous lui devons également la statue sur pied du leader Habib Bourguiba qui se trouve à Menzel Bourguiba. C'est également lui qui a réalisé, avec la collaboration de Zoubeïr Turki, le buste de Ibn Khaldoun. Juste quelques mois avant de décéder, il a tenu à sculpter le buste du roi Henri IV à l'occasion du quatrième centenaire de son assassinat par Ravaillac. Un roi (1553-1610) qui, de son vivant, a ramené la paix religieuse et rétabli l'autorité monarchique dans un pays ruiné par plus de trente années de guerres de religion. Après l'école des Beaux-Arts de Tunis de 1954 à 1958 et l'Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris de 1958 à 1966, Amor Ben Mahmoud a enseigné à l'Ittaat de 1966 à 1999 et exposé en Tunisie et en France. En 1995, il a été fait Chevalier de la Légion d'honneur en France, une distinction dont il se glorifiait légitimement. Depuis qu'il est décédé, c'est sa veuve, Yvette Ben Mahmoud, qui a pris en charge la mission d'organiser des rétrospectives de ses œuvres, très loin de tout souci d'ordre financier. Des peintures datant de l'époque où il était étudiant à Paris. Une exposition confrontant ses premières œuvres, réalisées aux alentours des années 1950, à une époque où les tendances ont radicalement changé et évolué. Il s'agit d'une quarantaine de tableaux, parfois très anciens qui révélaient avec exactitude une élégance exquise et une technique fort avancée. Dans cette tendance picturale, on se laisse parfois bercer jusqu'à s'imprégner par cette ambiance nostalgique du retour en arrière et les scènes du «kouttab» ou école coranique, du «meddeb» en train d'infliger la bastonnade et une volée de coups de trique sur la plante des pieds des élèves indisciplinés. Ou celle du notaire assisté de son clerc. La ferveur extatique de certains visages de femmes et d'enfants rend les peintures très émouvantes. Le portrait de la «Kairouannaise», en fait la maman de l'artiste, datant de 1958, est des plus réussis. Le peintre l'a réalisé avec beaucoup de tendresse et d'amour. C'est en quelque sorte un hommage à toutes les mères de la Terre. Jusqu'à la fin de sa vie, l'artiste n'a jamais voulu se séparer de cette toile nimbée du souvenir de celle qui lui a donné la vie et sur laquelle planent encore des vibrations qui répondent en écho aux tumultes qui l'agitent. A travers ses œuvres, l'artiste nous apparaît résolu à trouver une réponse aux problèmes picturaux. Aussi est-il attaché à se libérer de ses propres fantasmes ou émotions. Loin de se conformer aux aspects immédiats de la réalité, il les transpose lyriquement en une synthèse où se rencontrent le réel et l'irréel. Si cet art a un aspect évident et manifeste dont le sens est parfois facile à percevoir, il a aussi un aspect assez complexe, une poésie et une fraîcheur délectables qui séduisent le regard. Pour cet artiste à l'art consommé, il sera un symbole de l'artisan qui ne pouvait faire autrement que de demander à ses mains de traduire sa pensée. Un artiste lucide qui savait que tout langage doit s'apprendre pour pouvoir être utilisé et servir plus exactement l'extériorisation de l'homme. * L'exposition se poursuivra jusqu'au 10 octobre 2012