Comme l'ont bien voulu et réfléchi Salma et Sofiène Ouissi, Dream City a bel et bien réalisé le remue-ménage escompté. La Médina de Tunis s'est laissée habiter par des «intrus» et elle n'a même pas résisté à la tentation de faire partie du jeu. Pour un dimanche, jour sacré de repos pour les gens des souks, il était étonnant et réconfortant de voir plusieurs négoces, cafés et gargotes ouvrir leurs portes. Et dire que, pendant longtemps, on affirmait que le Tunisien ne comprenait pas l'art contemporain, qu'il était pudique et discret et que l'art de la rue n'attirait que les badauds. Pourtant... On avait du mal à croire qu'on était un dimanche après-midi, tant les queues étaient interminables devant les espaces de performance et les attroupements conséquents autour des artistes, lors du libre exercice de leur art. Entre El Attarine, Souk Chawachia, Sidi Ben Arous, Souk El Bey, le public, mappe à la main, repérait les lieux des spectacles et des installations suivantes. A l'angle d'une ruelle et d'une impasse, des sculptures vivantes, en semi-liberté, dévoilent nos pulsions de transgression. Ce sont les personnages de Tobi Ayedadjou, habillés des couleurs de l'Afrique et attachés par des camisoles, ils sèment le trouble dans l'espace, s'imposent au hasard des rues, apparaissent pour aussitôt disparaître. Le fou serait-il vraiment celui que l'on croit ? Et s'ils nous faisaient l'invitation à nous débarrasser de nos entraves... L'interdit change de nature d'une culture à l'autre, mais quels que soient les coutumes, les usages ou les religions, la liberté absolue n'a jamais le dernier mot. Tobi Ayedadjou, artiste, se saisit de cet appel au désordre pour poser la question de l'enfermement généré par les codes de l'espace social. «Fin de série» Pour passer 17 minutes avec «Fin de série» de Souad Ben Slimane, il fallait faire la queue pendant plus d'une heure, afin de la retrouver assise dans sa vitrine où elle attend un (im)probable passage de l'un de ceux qui ont cessé de chercher auprès d'elle un moment d'un semblant d'amour. Sa bande sonore évoque son dialogue intérieur, son étalage de marchandise physique et affective. Elle raconte avec indignation les temps qui changent, les nouveaux défenseurs d'une moralité hypocrite... «Fin de série»...dernier spécimen d'un métier vieux comme le monde. En passant par la rue Sidi Ben Arous, pour assister au spectacle de Imen Smaoui, on se retrouve en plein dans un show de béliomachie. Une bête, dans toute sa splendeur face à un homme dans un magnifique corps-à-corps ! Mais ce spectacle n'existe pas dans le programme de Dream City ?! Ce sont peut-être les jeunes du quartier, qui assurent à la fois la sécurité du festival et participent à l'organisation, qui ont choisi de prendre part à la fête et de s'approprier l'espace en faisant leur show. De l'autre côté de la rue, Imen Smaoui fait son électron libre, s'invite dans les rues et danse au gré de ses envies, de ses coups de cœur pour mettre en valeur le rythme des artisans de la cité ou pour suivre lascivement les méandres d'une ruelle... Une chorégraphie complice et toujours renouvelée qui s'invente selon les rencontres, une danseuse qui (ré)enchante le quotidien, un corps libre, enfin, qui explore et danse la Médina. Notre tour s'achève avec «Khira et Rochdi» de Malek Sebaï, à l'ancienne salle de lecture de la bibliothèque nationale d'El Attarine. Malgré la chaleur étouffante, on se bousculait pour assister à la performance d'un monument de la danse traditionnelle, Khira Oubeydallah. Tempo, mesure, pas, figure, mouvement...c'est l'apprentissage de tout un répertoire, Khira et Rochdi et toute une déclinaison possible autour du «traditionnel» tunisien. Le passé idéalisé, la tradition ancestrale transmise par l'oralité, les codes et les superstitions se trouvent face à un défi, celui de se raconter par des corps d'aujourd'hui, dans une forme que l'on appelle contemporaine. Avec Khira et Rochdi, notre parcours s'achève et s'achève aussi Dream City 2012, une édition qui a su transmettre son message et qui a su partager l'espace public tout en art. Et si elle est finie pour Tunis, mais la Médina de Sfax, ses portes, ses ruelles et ses alcôves ouvertes, attend pour ce week-end (5, 6 et 7), tout ce beau monde. D'ici la prochaine session en 2014, bon vent les artistes !