A l'initiative de Sihem Badi, une réunion interministérielle est prévue mercredi prochain avec à l'ordre du jour, le traitement de la poussée inquiétante d'établissements dits jardins d'enfants coraniques. Les ministres de l'Intérieur, de l'Education nationale, des Affaires religieuses et un représentant du Premier ministère sont invités par la ministre de la Femme à se réunir autour de la table pour agir contre ces structures hors la loi qui poussent comme des champignons dans le pays, échappant à tout contrôle. A l'origine, des associations disposant d'un visa du Premier ministère pour exercer dans le champ associatif se sont autoproclamées établissements scolaires et jardins d'enfants coraniques, et arrogé le droit d'encadrer toutes les tranches d'âge, à commencer par la petite enfance. Or tout établissement chargé d'administrer une éducation quelconque doit dépendre d'une institution officielle. Ainsi, les jardins d'enfants sont sous la tutelle directe du ministère de la Femme, les écoles coraniques, communément appelées «koutteb» relèvent du ministère des Affaires religieuses, et les établissements scolaires du ministère de l'Education. Ces structures non identifiées ne sont attachées, elles, à aucun de ces départements. Leur nombre, la formation des éducateurs, les programmes administrés ainsi que leurs locaux n'obéissent à aucune norme juridique ni pédagogique, mais plutôt à un référentiel religieux radicalisé. Des enseignantes niqabées dépourvues du moindre diplôme, pour certaines, dispensent un dressage religieux en bonne et due forme à des enfants de trois à quatre ans séparés par sexe. Des gamines voilées ingurgitent à longueur de journée de sévères dogmes religieux. Ni éveil scientifique, ni activités artistiques ni exercice physique ne leur sont dispensés. Au motif que tout est sacrilège. Derrière des portes closes, de jeunes garçons sont embrigadés pour le futur « grand djihad », et des fillettes sont prévenues méthodiquement contre les tourments du tombeau. Les inspecteurs et autres conseillers pédagogiques de quelque ministère que ce soit sont interdits d'accès. Une situation alarmante Face à un vide juridique qui l'empêche d'agir, la ministre de la Femme déclare à La Presse qu'elle s'est trouvée acculée à alerter qui de droit, pour superviser ces associations dévoyées de leur mission et procéder à leur fermeture, exige-t-elle. «J'ai plus de 6.700 jardins d'enfants publics ou privés sous la tutelle du ministère, explique-t-elle, mais uniquement 22 inspecteurs qui ne peuvent contrôler dans la totalité du pays et très peu de délégués à l'enfance. Malgré ce manque de moyens, nous avons constitué un lourd dossier des infractions commises et établi des rapports qui seront exposés aux ministres lors de la future réunion. Il faut que des décisions soient prises, la situation est alarmante», lance-t-elle. Le Premier ministère avait en effet exigé, pour agir, des rapports et des preuves d'infractions. Et les preuves ne manquent pas. Des parents avaient signalé des dépassements graves qu'ils avaient eux mêmes relevés. Certains délégués à l'enfance avaient pu également forcer des portes. Le cas signalé par Dr Moez Chérif sur une des radios est emblématique. C'est une petite fille qui annonce à sa famille sa cécité supposée, en criant « je ne vois plus rien ». Le médecin lui-même militant de l'enfance explique qu'à force d'interdire aux enfants de dessiner des yeux et des formes humaines, les enfants finissent par subir des traumatismes et croire que le fait de voir les choses est sacrilège, a fortiori quand leurs enseignantes portent le niqab à l'intérieur même des salles, et se dérobent à leur regard, déplore-t-il. Des mesures urgentes à prendre Près d'une trentaine de jardins d'enfants contrevenants sont dans le collimateur du ministère de la Femme. En réalité, leur nombre est bien supérieur, «aux alentours d'une centaine dans le pays», avance Mme Nadia Zbidi, chef du service de l'enfance, qui attend, nous dit-elle, les recommandations de la réunion de mercredi. Son vis-à-vis au Premier ministère qui aurait dû prendre le dossier en main n'a pas encore été désigné, du reste. Constat amer, face à ces lenteurs administratives et la prolifération inquiétante de ces «jardins» clos, rien de concret n'a été fait à ce jour. Les missives de Madame la ministre pour procéder «sans délai aux fermetures», dans le gouvernorat de Ben Arous par exemple, sont restées sans suite, hormis pour quelques cas très rares. Point positif tout de même, la ministre de la Femme compte bien d'ici peu faire adopter un décret selon lequel l'ouverture d'un jardin d'enfant, n'obéit plus à un cahier des charges «qu'on range dans le tiroir pour l'oublier» mais à une autorisation du ministère, qui se réservera le droit de procéder au contrôle des établissements et, si besoin, à la fermeture si les normes n'y sont pas observées. En attendant, et à travers les hauts murs érigés depuis quelques mois dans notre pays, une petite enfance en mal d'air réclame son droit à la lumière et au bonheur, tout simplement le droit à la vie.