La première chose qui interpelle le lecteur dans un livre, c'est à coup sûr son titre. C'est le cas du recueil de Mokhtar El Amraoui. Né à Mateur d'un père algérien et d'une mère tunisienne, le discret poète décide enfin de sortir de la clandestinité et de publier son premier recueil de poèmes qu'il a intitulé Arpèges sur les ailes de mes ans. Le ton est d'emblée donné et la poésie se définit dès lors comme une recherche effrénée d'une certaine harmonie qui transcende les aléas de l'existence ; l'aquarelle qui illustre le titre nous donne à voir un ciel bleuâtre survolé par une nuée d'oiseaux. Les poèmes sont autant de notes de musique aspirant à jouer une partition susceptible de ressusciter un passé enfoui mais qui n'en finit pas de nous habiter. Arpèges sur les ailes de mes ans donne des ailes au lecteur tant ces poèmes traversent le temps et l'espace. En effet, ce recueil est le condensé d'une expérience poétique qui s'étend sur plus de 30 ans. Mateur, Bizerte, l'Algérie, mais aussi la Palestine, sont autant de lieux chargés de sens et d'histoire qui ont marqué de façon indélébile l'imaginaire et la sensibilité à fleur de peau du poète. Dans son Avant -Poèmes, Mokhtar El Amraoui nous explique les raisons — elles sont au nombre de quatre — l'ayant déterminé à franchir le cap. Nous en retenons la quatrième. Il avoue que pareille entreprise (la publication à compte d'auteur d'un recueil de poésie) est, par les temps qui courent, une entreprise périlleuse, mais il ajoute qu' « il n'y a pas de bonheur sans la saveur du risque ». L'anecdote, bien réelle, il faut dire, de son oncle maternel tombant comme par hasard sur l'un de ses poèmes servant d'emballage de fruits secs, en dit long sur le traumatisme qu'il a subi et qui a retardé la publication de cette œuvre. Certes, mieux vaut tard que jamais... De la saveur des mots Pour percer un tant soit peu le mystère de la poésie de Mokhtar El Amraoui, il faut s'attarder sur le plan choisi pour nous présenter ce florilège de poèmes. Au fait, le recueil se subdivise en deux sections : la première s'intitule «Elans» d'espoir et regroupe un panel de poèmes de jeunesse. La deuxième, «Rayons de lumière pour funambule absent», rassemble des poèmes d'une plus grande maturité. Ce plan résume, à notre sens, tout le parcours du poète, mais surtout le rapport qu'entretient Mokhtar El Amraoui avec la poésie. En effet, dans la première partie du recueil qui regroupe 201 poèmes (excusez du peu), la poésie est perçue essentiellement comme « rage et colère, écho des plaies sourdes des vérités étranglées» (page 36). Le poète célèbre le monde dans lequel il vit, il brasse large, il s'intéresse non seulement aux petites choses qui façonnent le quotidien, mais aussi aux grandes causes qui agitent le monde : enfance, oppression, exil, révolte, tatouages.... Le poète rêve d'un monde meilleur, il clame haut et fort qu' : «il est bon de rêver», mais il se rend vite compte que «l'ailleurs est ici». L'âge aidant, la poésie de Mokhtar El Amraoui prend de la hauteur, elle se détourne de l'agitation du monde et découvre que pour accéder à la vérité suprême, le détour par l'autre n'est pas forcément incontournable. Il se dévoile au fil des poèmes et la voix se fait comme par enchantement plus intimiste, tantôt sereine tantôt triste. A la manière de Valéry : «Il fallait bien qu'un visage Réponde à tous les noms de la terre.» Dans le poème, Mon ami l'oued, Mokhtar El Amraoui entreprend un voyage dans les confins de sa terre natale et se confie à sa façon : Joumine, mon oued, mon encre du soir Où viennent se purifier, bien loin du noir, Les phalènes amants du feu et se brûler Avec toutes les chrysalides qui pleurent Prométhée. Le soleil, de son sang, Arrose mon attente. L'araignée du temps M'étrangle Dans le sablier de sa toile. Elle ne vient pas. Elégance et sobriété sont deux traits majeurs qui caractérisent la poésie de Mokhtar El Amraoui et contribuent à nous faire aimer ce partage de mots et d'émotions. En lisant les premiers poèmes d'Arpèges sur les ailes de mes ans, on se rend vite compte de la fluidité de l'écriture de Mokhar El Amraoui. Le rythme est souvent allègre, mais le ton est sincère; on n'a pas l'impression que le poète écrit pour les autres tellement cela coule de source. En prenant le parti de nous embarquer dans son monde à lui, le poète ne fait que chanter la magie «des mots-phénix tout frais et frétillants des nouveaux sens des grandes résurrections et passions, comme les poissons volants de Bizerte, cette splendide cité qui renaît toujours de ses douleurs».