Il a ouvert toutes les portes, «fermées à clé», de son cœur sans y trouver aucune lettre, aucun message. Dans l'attente d'être lu, il décida, alors, d'écrire des lettres d'amour qu'il s'enverra à lui-même, ou pourquoi pas louer les services d'une tierce personne pour s'acquitter de cette tâche… Il, c'est Néji Zairi, journaliste et homme de communication, qui se découvre une âme de poète, et qui, à travers son recueil de textes poétiques intitulé Ana Khatimou El Achiquine (Le dernier des amants), revient à cet art de la déclaration sous forme de message, «un procédé, parmi tant d'autres, de la littérature arabe, aujourd'hui, de moins en moins usité», selon l'auteur de la préface, le poète soufi Mohamed El Ghozzi, qui qualifie cette prose poétique «d'art de la correspondance, en ce sens que le texte littéraire est le message, l'écrivain l'expéditeur et le lecteur le destinataire, un procédé intimiste où l'auteur s'adresse à un présent-absent avec lequel il s'échange des secrets, à telle enseigne que la lecture devient comme un acte d'espionnage…». Ces fragments de discours amoureux imprégnés de poésie soufie qui expriment, visiblement, le mieux, les sentiments du poète se dégustent tels des poèmes Haïkus, tant leur auteur manie l'art de l'évocation et de l'allusion, sans jamais s'appesantir sur les détails, privilégiant la pertinence et le sens des mots à leur profusion. Se déclinant en quatre parties (Au commencement était la passion, Invocations de l'extase, L'Exil de l'âme et Le sang des amoureux encore et toujours), ce recueil de textes poétiques, concis et évocateurs, est écrit sous influence mystique, bien sûr, sans cette dimension religieuse et sacrée qui caractérise la poésie des maîtres de la poésie soufie, Jalelleddine Erroumi, Al Hallaj, pour lesquels seule la relation à l'unique compte et auxquels réfère l'auteur qui, lui, se focalise uniquement sur la relation avec l'être aimé et exalté. Personne, à l'exception de l'adoré, ne retient l'attention du poète, c'est bien là l'art d'aimer, l'art de correspondre et de communiquer des messages à la personne vénérée et sacralisée, tantôt en lui révélant sa passion et sa flamme, tantôt en pleurant la séparation ou en s'agrippant à de délicieuses et douces réminiscences de la mémoire. Pour exprimer son «état »(el Hal) d'extase, l'auteur emprunte aux figures de style mystiques, mais aussi aux autres sources littéraires, poétiques et culturelles arabes et universelles : quand le poète « regrette le temps où Shahrazade se taisait seulement quand l'aube chassait la nuit, tandis qu'aujourd'hui sa mémoire est frappée d'oubli, alors que Shâhrayâr, lui, ne sait plus écouter les récits des amoureux, fils de sultans, mystificateurs qui s'inventent des victoires et crachent sur l'espoir». Cependant, l'auteur garde, malgré tout, la foi en la capacité de l'héroïne des Mille et Une Nuits à nous rendre l'espérance. Ou quand le poète se décrit comme un Don Juan vil et cynique ou se voit comme le dernier des Don Quichotte, rêvant encore du temps, des arbres et des oiseaux. Miroir de l'âme de l'auteur, de ses amours anciennes, évanescentes, perdues ou sublimées, de ses obsessions et nostalgies récurrentes, ces poèmes secrètent outre un imaginaire nourri de mythes, légendes, héros et héroïnes de la littérature mondiale, un style où l'évocation le dispute à la métaphore et la symbolique à l'allusion. Cela sans jamais s'appesantir sur les détails ou forcer le trait. Le poète a plutôt recours à la saveur et à la musicalité des mots pour suggérer l'ivresse des sens, les passions vraies ou rêvées enfouies dans la mémoire, la nostalgie pour d'anciens temps où le noble sentiment de l'amour n'avait besoin pour exister ni d'historiens ni de brûlantes polémiques, encore moins de tuteurs, de laboratoires chimiques et de potions magiques. Car, aujourd'hui, c'est plutôt de « l'amour au temps de la chimie» qu'il s'agit, écrit l'écrivain, dans un clin d'œil à l'écrivain colombien Garcia Gabriel Marquez. C'est que le recueil bruisse de critiques latentes contre le fanatisme et l'intolérance qui ont traversé, dans le monde arabe, les siècles et les temps et ont généré des flambées sinistres de déchaînements et d'intransigeance extrémiste ayant conduit, entre autres, à la mort d'Al Hallaj supplicié, car condamné par des exégètes intransigeants et intolérants pour ces poésies soufies célébrant la passion de Dieu. L'auteur lui ayant consacré un texte intitulé Al Hallaj dans le chapitre Taratil Al Wajd (Invocations de l'extase). Un hommage au plus grand mystique de tous les temps. A l'instar du processus de dévoilement de la vérité chez les mystiques, le poète s'est dévoilé, aussi bien à son interlocutrice, à laquelle il est supposé envoyer les lettres et les messages, qu'à ses lecteurs, grâce à l'emploi du langage soufi dont le but premier est d'explorer les tréfonds de l'âme et du cœur, le poète a révélé cet «état intérieur si difficile à capter» grâce, surtout, à ce souffle poétique véhiculant images, allégories et sens. Ainsi, si le journalisme mène à tout… cet adage s'applique parfaitement à notre collègue Néji Zairi, journaliste et homme de communication, auquel s'ouvre une autre voie, celle de l'inspiration et de la création et qu'il ne devrait pas hésiter à creuser davantage. –––––––– * Ana Khatimou Al Achiquine : 135 pages. Edition : Manchourat Karem Chérif . Prix : 9 dinars