Par Hassen Chaari* « Le succès fut toujours un enfant de l'audace» Crébillon « Il n'y a que deux puissances au monde, le sabre et l'esprit. A la longue, le sabre est toujours battu par l'esprit » Napoléon Le modèle de développement tunisien en vigueur depuis 50 ans a montré ses limites, puisqu'il a créé en fin de compte des déséquilibres socio-économiques insoutenables entre les régions, les secteurs, les générations... Donc à la poubelle ce modèle ! puisque d'autres alternatives sont non seulement possibles, mais impératives et incontournables. Même les experts de la Banque mondiale considèrent que les résultats obtenus chez nous sont décevants, pour ne pas dire frustrants au regard des défis que le pays se doit de relever. Idem, certains observateurs sont inquiets, comme l'Agence de notation Standard & Poor's qui a récemment dégradé la note souveraine de la Tunisie ; ce qui a renchéri les coûts de financement au moment même où notre déficit budgétaire devrait atteindre les 6% sur l'année 2012. Autrement dit, des dépenses étatiques exagérées, des déficits budgétaires chroniques, et une consommation dopée par le crédit bancaire faussent les repères, découragent l'effort et la production et ne peuvent pas continuer indéfiniment. Arrive un moment où les bailleurs de fonds se rendent compte que le débiteur est insolvable et qu'il faut le contraindre à rembourser ou du moins réduire la dette. D'où l'imposition d'une politique de désendettement, de réduction des dépenses publiques, de l'austérité ... qui ont pour conséquences le ralentissement économique, l'augmentation du chômage, les défauts de paiement, l'affaiblissement et l'insolvabilité des banques... Cela dit, les experts sont unanimes, à moins que 5% de croissance annuelle, le modèle tunisien bascule et se traduit par une aggravation des déficits et par une insuffisance de création d'emplois, nécessaires pour satisfaire les nouveaux demandeurs d'emploi, de l'ordre de 90.000 par an, et encore moins pour réduire un tant soit peu le nombre des 800.000 chômeurs (dont 200.000 diplômés). Une vraie bombe à retardement, si les choses ne changent pas rapidement surtout dans les régions défavorisées ! Les caractéristiques fondamentales et constitutives de ce modèle de développement qui le rend si peu efficient sont, pour faire simple, au nombre de trois : une industrie basée sur la main-d'œuvre à bas coût, une forte dépendance des crédits externes et une injustice fiscale et judiciaire. C'est pourquoi la Tunisie n'a jamais pu atteindre un équilibre et encore moins un excédent de sa balance commerciale, comme font depuis longtemps les modèles coréen, japonais et allemand. A part la spirale de l'endettement-remboursement qui s'est durablement installée dans le modèle tunisien, la dynamique d'ensemble du modèle reste dominée par ce qu'il convient d'appeler l'économie familiale à petit capital et surendettée. Ce modèle ne marche pas, car il est trop replié sur soi et n'est pas ouvert sur l'innovation. Hélas, le gouvernement provisoire actuel n'a fait que reconduire la même politique économique et réinstaurer les mêmes mécanismes que ceux qui prévalaient avant la révolution. En plus de cela, il en a commis toute une série d'erreurs de pilotage dans un environnement caractérisé par l'insécurité et des fréquentes troubles sociales. Quel modèle économique pour la Tunisie nouvelle ? Selon de nombreuses études qui se recoupent, les créations annuelles d'emplois observées en Tunisie depuis des décennies sont marquées par la précarité généralisée. En effet, pas plus de 3 emplois sur 10 seraient en fait des emplois permanents, le reste étant des activités temporaires, durée et rémunération flexibles, cycliques ou encore saisonnières. Ce modèle produit aussi une énorme exclusion. 30% de notre économie serait ainsi informelle (activités illicites) procurant un semblant d'activité à près de 50% de la population en âge de travailler. Autrement dit, la révolution du 14 janvier 2011 a porté un fatal coup d'arrêt à l'activité économique tunisienne et 2 ans plus tard, l'horizon ne s'éclaircit guère. Alors que la croissance avait atteint 3,6% en 2010, elle s'est repliée de 1,5% l'an dernier. Pire encore, dans un contexte de récession en Europe, principal partenaire commercial de la Tunisie, auquel s'ajoute une transition politique qui demande forcément du temps, l'année 2013 sera davantage plus difficile en termes de croissance, de finances publiques et par conséquent d'accès au financement. En effet, 75% des produits exportés par la Tunisie sont achetés par l'Union européenne et depuis la révolution, les principales industries manufacturières accusent un net ralentissement. Elles ne peuvent pas compter, non plus, sur la consommation des ménages tunisiens qui patine en raison d'un taux de chômage toujours très élevé (18,1% en octobre 2012) et d'un ralentissement de l'offre des crédits bancaires. L'état de sécurité, la demande extérieure fébrile et le marché domestique timide ne vont pas inciter les investisseurs étrangers à se précipiter en Tunisie. La défiance reste importante quant aux évolutions futures et au risque d'instabilité politique perçue encore comme non négligeable. Toutefois, les secteurs liés à l'énergie et aux matières premières seraient peut-être ceux qui pourraient connaître une «normalisation» plus rapide en raison de l'attractivité stratégique de ces secteurs. Idem, le tourisme tunisien est fortement affecté par la défiance des investisseurs en raison de la forte baisse du nombre de visiteurs étrangers dans le pays. En effet, ceci n'a pas encore retrouvé sa vigueur d'antan. En 2011, les recettes touristiques ont baissé de 33% et les flux des européens ont chuté de 41%. On est passés de 7 millions de visiteurs au total en 2010 à 4,8 en 2011. D'ici la fin 2012, on espère parvenir à 6 millions de visiteurs. Malgré tout, le pays peut, en théorie, compter sur les aides internationales promises telle que celles de l'Allemagne afin de relancer sa machine économique. En outre, une enveloppe de 40 milliards de dollars avait été annoncée à Deauville aux pays du printemps arabe. Si une infime partie de cette somme ait été versée, on ne serait aujourd'hui pas là. Bref, à notre système économique défaillant, une autre alternative est certes possible ; elle nécessite une vraie prise de conscience, une rupture avec cette logique désastreuse et dévastatrice d'une dépense sans limite et sans objectif préalablement défini. Une refondation économique et conceptuelle puis programmatique vers un autre «mieux vivre-ensemble» est incontournable. (Universitaire, président de l'Adri «Association pour le développement de la recherche et l'innovation» et de l'Arta «Association de rapprochement tuniso-allemand»).