Par Zouheïr El KADHI (Docteur en économie) C'est dans les situations fragiles que l'on juge la qualité des décideurs politiques. A cet égard, le gouvernement en place, issu des élections du 23 octobre dernier, devra prouver sa compétence avec des marges de manœuvre extrêmement limitées. L'économie tunisienne connaît actuellement une phase de ralentissement s'accompagnant d'une remontée du taux de chômage qui devrait être supérieur à 18 % cette année. La reprise n'est toujours pas garantie et ce n'est guère le moment de se tromper de politique économique. Mais que peut faire le gouvernement après avoir promis trop de choses avec des déclarations à l'emporte-pièce. Aujourd'hui, la priorité immédiate du gouvernement est la relance économique. Il faut absolument remettre l'économie tunisienne sur les rails car l'avenir du pays en dépend. Si du côté monétaire les marges sont épuisées ou presque, la politique budgétaire doit prendre le relais pour sortir la Tunisie du marasme économique. Cependant, les arbitrages à rendre sont particulièrement délicats, car le gouvernement aurait plutôt besoin d'augmenter les dépenses dans de nombreux domaines : lutter contre le chômage et la pauvreté, améliorer les conditions de vie et augmenter les transferts sociaux, relever le défi du développement régional... Un tour d'horizon de la loi de finances complémentaire nous permettra peut-être, en l'absence d'un programme économique clair et précis, de comprendre l'orientation de la politique économique du pays. Aujourd'hui, le ralentissement économique tarit les recettes au moment même où le gouvernement aurait besoin de satisfaire des demandes supplémentaires à la veille de la révolution. L'économie tunisienne souffre de nombreux handicaps et la croissance prévue cette année est de l'ordre de 3,5 %. A ce rythme de croissance, le budget de l'Etat pour l'année 2012 est évalué à 25.401 millions de dinars (MD). Les ressources propres sont estimées en hausse et qui proviendraient essentiellement d'une amélioration du rendement fiscal, des revenus de la confiscation, des recettes de privatisation et des dons. Dans ce cadre, de nombreux ménages paieront la hausse des prix des carburants. Ces hausses pèseront sans doute sur le pouvoir d'achat des ménages. Les dépenses, de leur côté, augmentent. Elles concerneront, principalement, les dépenses de développement, l'appui au programme de l'emploi, les dépenses de subvention et les transferts sociaux. Le budget 2012 est marqué par un déficit budgétaire de près de 4.568 millions de dinars (MD), soit l'équivalent de 6,6% du PIB et un taux d'endettement d'environ 46% du PIB. C'est la conséquence des recettes qui flanchent, faute d'activité. Toutefois, la montée des déficits n'est pas un mal en soi, surtout en période de ralentissement économique, dans la mesure où elle soutient l'activité. Il y a de bonnes raisons pour qu'il en soit ainsi car ce serait absurde de préférer le dogme à la reprise économique. Mais on peine à voir comment il s'inscrit dans une stratégie économique bien définie. Aujourd'hui, il y a bien sûr un contexte très difficile pour les équilibres publics, d'autant plus que l'effort d'économies, de réduction des dépenses est pour l'instant très limité. Il y a lieu de rappeler, dans ce contexte, que le bon sens économique fait qu'il est plus juste de parler d'un «seuil d'exceptionnalité». En effet, dans des circonstances exceptionnelles, il faut savoir mener des politiques exceptionnelles. Il peut être temps de s'affranchir de la discipline et/ou de l'orthodoxie budgétaire pour mener une gestion budgétaire active et contracyclique. Celle-ci ce mesure par la volonté des autorités de laisser jouer pleinement les stabilisateurs automatiques qui conduisent à un creusement du déficit par l'accroissement des dépenses en période de récession et à une amélioration des finances publiques en période de reprise. Cependant, même si une hausse du déficit dans le contexte actuel peut être compréhensible, je garde un œil critique sur les chiffres avancés. Soyons logique, le déficit budgétaire n'est autre que la différence entre les ressources propres et les dépenses de l'Etat. Schématiquement, même si on accepte l'hypothèse de 3,5% de croissance, les recettes, qui sont en lien direct avec l'activité économique, vont être faibles. Côté dépenses, rappelons que notre gouvernement est composé de plus de 50 ministres et secrétaires d'Etat, à quoi il faut ajouter les dépenses de subvention qui sont en hausse, les dépenses urgentes en matière de politique sociale et les dépenses nécessaires pour le développement régional. Si on prend tous ces paramètres en compte, le déficit budgétaire pourrait facilement atteindre les 8%, voire plus. Mathématiquement, les choses ne collent pas. Pour que cela colle et d'une manière assez surprenante, les recettes ont été gonflées par des recettes de privatisation, des dons, du recouvrement, des hausses des prix à la pompe des hydrocarbures ...! Au final, on se retrouve devant une loi de finances complémentaire classique. Les priorités soulignées n'ont rien de bien surprenant : ces différents postes de dépenses s'accroissent déjà depuis plusieurs années. Cependant, si la croissance ne repart pas, tous les objectifs deviennent incompatibles et le gouvernement va tôt ou tard devoir faire le choix entre les promesses d'hier et les réalités d'aujourd'hui. Il n'est pas si certain que demain, l'équation pourrait devenir encore plus complexe. Dans ce cas, les baisses automatiques des recettes et les hausses non moins automatiques des dépenses peuvent faire exploser le déficit.