Par Abdelhamid GMATI Parmi les sujets qui se prêtent à des questionnements, figure la nouvelle diplomatie tunisienne. Il y a un mois, le président de la République, M. Moncef Marzouki, donnait sa conception des «nouvelles orientations» de la diplomatie tunisienne lors de la conférence des ambassadeurs. Il déclarait que «le professionnalisme doit être de mise» et que «la diplomatie est invitée à servir les intérêts de la nation et à œuvrer dans le cadre de la transparence, et non pas à satisfaire une partie quelconque ou un régime donné». Rien de bien nouveau par rapport aux orientations et aux actions passées. De son côté, le ministre des Affaires étrangères, M. Rafik Abdessalem, affirmait que «la politique étrangère s'appuie sur des données objectives, telles que la position géographique, les potentialités démographiques et les ressources naturelles. D'où la nécessité d'adopter une diplomatie qui vise à dynamiser les relations économiques et qui ne se limite pas à instaurer des relations avec les acteurs politiques». Là aussi, rien de bien nouveau. Mais qu'en est-il dans les faits ? Lors d'une conférence organisée à Tunis samedi dernier à l'initiative du «Réseau de Tunisie pour les droits, les libertés et la dignité», les participants, hommes politiques, diplomates, universitaires, représentants de partis et de la société civile ont analysé la nouvelle diplomatie tunisienne et livré leurs opinions. M. Laâjimi Lourimi, dirigeant au mouvement Ennahdha, a évoqué «les erreurs de la politique extérieure du gouvernement, dont notamment l'expulsion de l'ambassadeur de Syrie à Tunis, qui trouvent leur explication dans l'esprit de la révolution et non pas dans les coutumes diplomatiques». Pour le secrétaire général du Parti de la réforme et du développement, Mohamed Goumeni, «la politique extérieure actuelle n'est pas fiable à la révolution et n'a pas soutenu un choix national indépendant». M. Abdeljalil Dhahri, du Réseau de Tunisie pour les droits, les libertés et la dignité, a estimé que «les orientations nationales doivent être totalement indépendantes des diktats extérieurs, dont l'Europe, le Qatar et les Etats-Unis d'Amérique». Pour le secrétaire général du Parti unifié des démocrates patriotes, M. Chokri Belaïd, «le ministère des Affaires étrangères s'adonne, aujourd'hui, à une diplomatie partisane et non pas à une diplomatie d'Etat». Et c'est là que le bât blesse. La Révolution tunisienne a déclenché une vague de sympathie et de soutiens à travers le monde. On nourrissait l'espoir que la démocratie, souhaitée par le peuple tunisien, soit enfin instaurée. Et on s'attendait à ce que l'image de la Tunisie à l'étranger, fortement ternie par la dictature, les exactions, la persécution des opposants, les dénis des libertés et des droits de l'Homme, soit enfin réhabilitée. Ce fut le cas durant les premiers mois et on ne compte plus les hommes politiques, les organisations internationales, les économistes, les investisseurs qui se bousculaient pour apporter leur soutien et leur aide. Et alors qu'on s'attendait à une diplomatie allant dans ce sens, il y a eu recentrage. Un recentrage annoncé par le ministre des Affaires étrangères lorsqu'il déclarait que «le véritable défi qui se pose aujourd'hui, consiste en la garantie de l'équilibre entre les constantes de la politique étrangère et les changements qui l'avaient affectée après la révolution». Le seul changement notable fut l'accession au pouvoir du mouvement islamiste Ennahdha. La politique extérieure en a été affectée comme tous les autres secteurs du reste. Depuis, les constantes sont peu à peu gelées et les liens se tissent beaucoup plus avec les pays ayant une idéologie islamiste similaire. L'épisode de l'extradition du Libyen Mahmoudi est significatif à cet égard. De même que la rupture, prématurée et improvisée (voire dictée) avec la Syrie; on citera aussi la délégation dépêchée à Gaza, également sur instructions, ce qui a valu la destruction d'une école tunisienne symbole du soutien du peuple tunisien au peuple palestinien. On relève aussi l'ingérence dans les affaires palestiniennes et le parti pris pour le mouvement islamiste Hamas, au détriment de l'Autorité palestinienne. D'aucuns n'hésitent pas à affirmer que la politique étrangère tunisienne dépend en grande partie du Qatar et de l'Arabie Saoudite désireux d'instaurer le wahhabisme dans notre pays. A suivre. Bien entendu, les erreurs, et elles sont nombreuses, ne sont pas dues seulement à l'amateurisme du ministre des Affaires étrangères, comme le prétendent certains. Certes, ce Monsieur a fait preuve de beaucoup d'ignorance (longueur des côtes tunisiennes, capitale de la Turquie, verset du Coran attribué à un écrivain, etc.) mais elles proviennent aussi du bicéphalisme, la Présidence de la République et le gouvernement agissent sans se consulter chacun poursuivant des objectifs différents. Et c'est déplorable. Car il s'agit des intérêts nationaux et la diplomatie se doit de les servir en dehors de toute partisannerie, ni idéologie.