Au grand dam des férus et passionnés du patrimoine, le mécénat tarde encore à se définir dans les mentalités en Tunisie et les fondations dédiées à ce genre d'activités ne voient pas, comme il le faut, le jour dans notre pays. Lancée en débat lors du premier colloque international «Mécénat culturel et patrimoine», le terme en question n'a pas encore de définition légale vu l'absence d'un cadre institutionnel à même d'encourager, malgré certaines actions ponctuelles, l'investissement dans la culture en général et le patrimoine en particulier. Le mécénat culturel dans son sens large demeure désormais l'une des meilleures alternatives pour non seulement préserver le patrimoine, mais aussi d'aider les porteurs d'idées, de projets, les entreprises, les particuliers et les compétences de trouver le cadre idoine pour investir davantage dans le patrimoine. L'exemple français est édifiant dans ce sens. Car une équipe de quatre personnes est parvenue à formuler un guide de 16 pages pour ces porteurs de projets, guidés par un seul engagement exprimé par la ministre de la Culture et de la Communication, Aurélie Filipetti : «A travers les dons de leurs entreprises, les salariés aussi s'engagent pour le patrimoine et la création comme ils le font souvent par des dons individuels. C'est une forme de citoyenneté culturelle». S'apprêtant à célébrer le 10e anniversaire de la création de la mission du mécénat au ministère français de la Culture et de la Communication, M. Karim Maâtoug, chargé de mission, a donné un aperçu exhaustif de la législation française en terme de définition, de types, de bénéficiaires, des modèles de mécénat et des incitations fiscales mises en place et qui ont permis de servir le patrimoine. Pour rappel, la première grande opération de mécénat culturel jamais réalisée en France fut celle entamée par le groupe mondial de concessions et de construction Vinci qui s'est investi dans la restauration intégrale de la galerie des Glaces du château de Versailles . Certes, l'approche finance-culture est difficile sinon inconcevable. Mais comme l'a affirmé M. Maâtoug «le mécénat est avant tout une mission civile». En termes plus simples, le mécénat est un ensemble d'activités managériales d'équipes qui s'installent entre deux mondes qui ne se fréquentent pas mais qui peuvent se croiser. En dépit de certaines opérations importantes mais ponctuelles menées en Tunisie aussi bien par les municipalités (cas de Sousse), les associations (notamment l'Association de sauvegarde de la médina de Tunis), le mécène a besoin aujourd'hui plus que jamais d'une place et d'une image de célérité. Car le patrimoine (matériel et immatériel) se trouve confronté à de multiples risques de déperdition et de ruine. Evoquant notamment les risques de pression urbaine sur les joyaux de notre passé, l'archéologue Kheireddine Annabi et la présidente de l'Association de sauvegarde de la Médina de Tunis, Samia Yaich, ont soulevé l'impératif urgent de développer une stratégie nationale et locale pour encourager la société civile aussi au développement du mécénat. Partant de cette conviction, le cadre institutionnel est nécessaire pour que les hommes d'affaires ne soient pas confrontés à des obstacles qui freinent un éventuel investissement dans la culture et surtout pour qu'ils soient eux aussi protégés pour pouvoir approcher le patrimoine, et le rapprocher du citoyen. Comment ramener les publics vers un bâtiment, un musée, un site ou un monument ? Le mécène peut jouer un rôle prépondérant dans l'instauration de nouveaux modes de comportement. Le cas du musée du Bardo, dans sa peau neuve, peut être cité comme exemple. Selon l'historien Nacer Baklouti, ce musée, comme d'autres d'ailleurs, ne devrait pas être uniquement un lieu de conservation ou d'exposition de collections, mais un lieu de découverte de la richesse de notre histoire qu'on regarde mais qu'on ne voit pas. Prenons l'exemple du musée du Louvre qui, grâce à l'intervention de la fondation Total, a pu réserver un pavillon éducatif et pédagogique sur l'histoire des arts. Une citoyenneté culturelle Pour le cas de la Tunisie, les participants ont relevé la nécessité de mobiliser tous les efforts par la prise de mesures concrètes pour introduire le mécénat dans la politique culturelle du pays. Au niveau du ministère des Finances, des exonérations et des incitations fiscales devraient mobiliser les banques, les chefs d'entreprise et les porteurs de projets pour investir dans la culture comme ils le font d'ailleurs dans le sport. Dans cette même logique, les intervenants étaient unanimes à souligner l'urgence de réviser le régime fiscal et juridique du patrimoine, des sites archéologiques, et de leur mise en valeur, du régime juridique des monuments historiques, de la commercialisation des objets historiques et archéologiques, des avantages fiscaux et financiers et du statut des infractions en la matière. Pour la représentante du patronat tunisien, l'Utica, Mme Wided Bouchemaoui, il est du devoir de reconnaître les multiples efforts pour rapprocher l'économie du patrimoine considérant que sa préservation est l'affaire de tous. Manifestant son soutien financier aux activités culturelles, elle a lancé un appel à toutes les entreprises à investir davantage dans la protection du patrimoine, contribuant de la sorte à renforcer l'approche citoyenne de l'entreprise. Toutefois, estime Mme Soumaya Gharsallah, conservatrice du musée du Bardo, «la rigidité du cadre législatif rend le mécénat un peu difficile». Certes difficile, mais pas impossible. Pour Héla Bridaâ, présidente de l'association Lien d'amitié France-Tunisie de Saint-Etienne, l'importance du partenariat dépend d'une volonté sincère de réaliser des projets concrets citant l'exemple de la ville de Saint-Etienne qui s'est impliquée dans plusieurs projets pour la valorisation de son patrimoine à travers la création de nouveaux métiers tels que l'exploitation du design dans l'amélioration du produit artisanal. Selon l'artiste plasticienne Nadine Lahoz, le projet de coopération entre le musée des arts et traditions populaires de Sousse et le musée d'art et d'industrie de Saint-Etienne, travaillant sur un même axe, celui du textile, peut être considéré à juste titre un mécénat de compétences. «Des projets citoyens à orientation socioéconomique et culturelle devraient être engagés», estime M. Rejeb Elloumi, président de l'association Tourath. «Des projets qui prennent en considération les spécificités et les atouts de chaque région et qui sachent marier l'économie au social et à la culture», précise-t-il. Dans cet esprit, la création de villages touristiques dans les régions riches en patrimoine matériel et immatériel dont Kerkouane, Kasserine, Zaghouan, Le Kef ou Siliana constituent autant d'exemples de projets citoyens sur lesquels le secteur privé peut parier, dans l'attente d'une législation appelée à être attractive pour tous dans un pays considéré comme un musée à ciel ouvert.