Tout de suite après le festival du Sahara, marque déposée de Douz, cette région du sud de la Tunisie a accueilli, du 26 au 30 décembre 2012, la deuxième édition des Journées du documentaire. Les activités ont eu lieu à la maison de la culture M'hamed Marzougui et sous une tente nomade dressée aux abords du musée des arts et traditions populaires. Que reste-t-il à Douz après l'emballage du matériel et le départ du bus qui a ramené les organisateurs et leurs invités à la capitale ? Des traces de pas sur la sable, comme l'illustre si bien l'affiche des Douz doc days? En tout cas, des tas de questions nous trottent dans la tête après avoir vécu cette boulimie documentaire. Hichem Ben Ammar, le concepteur de cette manifestation, écrit dans le catalogue qui présente l'événement, que l'objectif de ce qu'il a appelé — en anglais — les «Douz Doc Days» est de valoriser la citoyenneté à travers la culture du documentaire. Dans la même page, il pose à son tour des questions du genre «le documentaire va-t-il en ces temps de précarité sauver l'honneur du cinéma tunisien?», et il affirme que ces journées forment un cadre pour permettre aux cinéastes de mettre en commun leurs expériences.... Il suggère, plus loin dans le texte, la création d'une école de documentaire, et il invite les documentaristes au voyage, à la découverte de l'aventure en soulignant que «Douz est leur point de ralliement, aux portes du désert». Mis à part les bonnes intentions que l'on peut lire dans ces propos, une première question s'impose : en quoi est ce que les «mrazig» (les gens de la région) sont concernés ? Et puis, que leur apportent tous ces gens de la capitale, qui débarquent soudain dans leur ville où il ne se passe pratiquement rien, pour débattre de problématiques qui ne regardent que les professionnels de la profession? Les films sont là, nous dira-t-on, pour essayer de remplir ce vide culturel. Il est vrai qu'à part les documentaires en compétition, les journées proposent de la fiction, des courts et des longs métrages à thèmes. De plus, il y a les ateliers de production où les habitants de la région peuvent, entre autres, s'initier à la fabrication de l'image et son écriture. Le programme est bien chargé, un peu trop même ! Mais il faut dire que jusqu'au jour «j» du palmarès, il n'y a pas eu foule autour de ces journées. Que le peu de public venu voir les films s'est trouvé souvent largué à cause de la langue (française notamment) utilisée par les personnages tunisiens — nous le soulignons — de certaines fictions ou documentaires (surtout). D'autant plus que les auteurs n'ont même pas pensé au sous-titrage en arabe. A qui croient-ils s'adresser ? Ont-ils oublié que le cinéma est un média de masse et un outil de communication par excellence? N'ont-ils aucune idée sur le taux d'analphabétisme grimpant dans le pays ? Croient-ils toujours que tous les Tunisiens sont de parfaits bilingues ? Le décalage Cela étant dit, nous avons également remarqué que pendant la projection de « 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 » un documentaire de Bilel Bali qui a pour thème la « salsa », (une danse d'Amérique latine, apparemment très à la mode à Tunis), des spectateurs ont dû quitter la tente, en prenant leur burnous par les deux bouts et en disant haut et fort : «Dans ce marché il n'y a rien à acheter !». Comment ça se fait que les organisateurs aient pu oublier leurs hôtes en cours de route pendant l'étape obligatoire de la sélection? C'était pourtant bien parti. Au début, on sentait la curiosité et la volonté de certains mrazig de découvrir ce que pouvaient ramener ces gens de Tunis dans leurs bagages. Verraient-ils enfin des images qui parleraient pour eux ? Y a-t-il espoir que dans le documentaire, au moins, ils puissent se retrouver pour mieux comprendre une réalité plus complexe que la fiction ? Le point de vue La réponse est oui. La réalité existe dans plusieurs documentaires programmés lors de ces journées. Mais le point de vue sur cette même réalité est presque absent de la majorité des films. Nous avons eu souvent l'impression que les auteurs ont cédé toute la place à leurs personnages si «fascinants» de désespoir et de misère. Ces derniers leur ont volé la vedette pour dire, revendiquer, et même délirer. Submergés par la matière, les réalisateurs nous l'ont livrée toute crue, sans traitement, sans structure et sans construction. Ce ne sont que des premiers films, diront les «gentils», et que, dans un premier film, on ne peut éviter d'être complaisant. Certains films révèlent des espoirs de documentaristes. Ces derniers ont l'air de comprendre l'importance du point de vue et du traitement. Attendons encore quelque temps pour voir si après cette boulimie documentaire de la post révolution, ce genre résistera et si ses auteurs auraient encore du souffle.