Nous publions, aujourd'hui, la deuxième et dernière partie du colloque international «Thawra(t): pour une approche comparée des révoltes et révolutions à l'époque contemporaine (XIXe-XXIe siècles) », organisé par l'Université de La Manouba et l'Institut supérieur de l'Histoire du Mouvement national, qui a eu lieu récemment, sur trois jours, respectivement à la faculté des Lettres de La Manouba, à la Bibliothèque nationale de Tunis et à l'Institut supérieur de l'Histoire du Mouvement national de La Manouba. Actuellement, ce qui constitue un danger pour les pays arabes et surtout pour la Tunisie, c'est le mouvement islamiste qui prend une envergure considérable. Il est indéniable que «l'Islam local a marqué depuis des siècles la vie, les croyances et les coutumes du pays», pense Aleya Allani, de la faculté des Lettres de La Manouba. Cet Islam, qui appartient à la culture de ce pays, a joué un rôle prépondérant dans la lutte contre le colonialisme. Toutefois, l'absence d'une politique religieuse de l'Etat après l'Indépendance a cultivé le fossé entre l'Islam politique et l'Islam officiel. La légitimité de la présence de l'Islam parallèle au pouvoir actuel se justifie par «les atteintes portées aux libertés sous les présidences de Bourguiba et Ben Ali ». Et les islamistes occupent la grande place de l'opposition. Ceux qui ont voté pour Ennahdha en octobre 2011 ont donc voulu donner l'opportunité à ce mouvement de «présenter ses théories et sa vision du pouvoir ». Mais aujourd'hui, l'opinion publique et l'élite tunisienne mettent en doute la sincérité de l'exercice démocratique du pouvoir. Aleya Allani conclut en mettant l'accent sur le fait que «l'Islam, contrairement à l'islamisme, est compatible avec la démocratie». En effet, l'islamisme ne peut que freiner la dynamique des droits. C'est pour cela que «la Tunisie doit apprendre des autres expériences révolutionnaires dans le monde», précise Amine Mahfoudh, juriste, de la Faculté de Sousse, afin de réussir à maintenir la réforme sociale et politique qui assure la défense des droits de l'homme. Ainsi, la défense des droits de l'homme et de sa liberté a été le souci de plusieurs penseurs politiques comme Abd al-Rahman al-Kawakibi. Cet intellectuel syrien, qui correspondait avec Lénine et qui était influencé par les idées libérales des philosophes du siècle des Lumières, surtout par Montesquieu, est l'un des théoriciens du panarabisme qui vise à défendre l'identité arabe en unifiant les peuples arabes. Il a beaucoup « critiqué la dictature et sa relation avec la politique et la religion orientales», a-t-il dit. Kawakibi se caractérise par son écriture subversive dont le souffle est révolutionnaire. C'est en inventant une nouvelle grammatologie que, dans chaque page, son cri de révolte ressurgit. Les cris de révolte peuvent aussi ressurgir sur les murs. En effet, les graffiti forment également une nouvelle manière de lire l'histoire, un essai d'écriture historique pertinent. L'universitaire libyen Omrane Guebb a, d'ailleurs, mis en relief la vision prospective de ces graffiti muraux. Produits par les rebelles libyens, les graffiti ont servi de slogans révolutionnaires. Leur originalité montre un enchevêtrement entre pensée et action; ce socle de références est une source d'imagination créative et une action libre qui dépasse toutes les frontières du mur barré. Le pouvoir de l'imageet des mots Ce procédé ajoute à l'art des images librement éclatées. Et là on pense au cinéma qui « est l'écriture moderne dont l'encre est la lumière », comme disait Cocteau. Si la presse, les manuscrits et les archives constituent une narration de l'histoire, le cinéma s'inscrit dans une composition qui joint l'esthétique à la documentation. En fait, les films documentaires présentent, à travers l'image, une parcelle de la vérité. Le film de Mohamed Zran Dégage, le peuple veut, qui a été projeté, à l'occasion, à l'Institut supérieur de l'Histoire du Mouvement national, lors de la dernière journée, est un long métrage qui retrace les haltes de la révolution tunisienne. Ce documentaire, qui est un récit historique, met en toile de fond un peuple qui veut — et qui peut — décider de son sort, un peuple qui a beaucoup souffert des injustices de l'ancien régime, un peuple qui a dit «dégage» à toute forme de dictature et de tyrannie. On a tous dit «dégage». Cet impératif catégorique a été clamé spontanément et fièrement. Les artistes disent et écrivent ce mot sempiternellement dans leurs œuvres qui sont un assaut contre tout ce qui les accable, qui les étouffe et viole leurs libertés. Ainsi, la poésie, qui casse tout ordre établi et toute structure fermée, a toujours eu ce privilège de purification et de transcendance. Kennedy n'a-t-il pas dit : «quand le pouvoir corrompt, la poésie purifie». C'est avec la poésie engagée de Mohamed Sghaïer Ouled Ahmed et ses vers percutants qu'on se trouve à l'écoute de mots qui déclarent la guerre aux despotes de l'esprit. Dans la salle de conférences de la Bibliothèque nationale, la lecture du poète a été bellement théâtralisée, où chaque vers a imposé son propre rythme et sa marche libre dans l'histoire. L'ironie, ou plutôt la dérision, dans la poésie de Ouled Ahmed paraît «amusante», mais elle est, en réalité, chargée de souffle et de sensations capables de «ravitailler» les veines libres et révoltées. Que dire, enfin, sinon que les problématiques abordées lors de ce colloque exigeaient un esprit critique plus profond. On aurait pu, par exemple, davantage étudier ontologiquement la psychologie du peuple et de celui qui le gouverne, approfondir l'analyse sur la psychose des deux, en interrogeant plus les contradictions et les paradoxes de ces deux entités complexes, plutôt que faire défiler les robinsonnades idéologiques qui sont devenues, de nos jours, puériles puisqu'on n'en tire pas de leçons. Mais avoir parlé de ces révolutions constitue en soi un pas qui, loin d'être dérisoire, s'inscrit dans une projection de faits, une projection qui tente de guérir un mal qui nous touche tous dans ce monde fait de guerres, mais inévitablement de paix, aussi.