Il est des hommes (et des femmes surtout) que, décidément, la Providence aime très particulièrement et leur réserve une destinée dont la lumière n'en finit jamais d'éblouir les masses. Mohamed Abdelwaheb en était, et restera toujours, un. Pourquoi est-ce qu'un Tunisien s'enticherait de consacrer un ouvrage à une grande star étrangère ? Ne serait-il pas, logiquement, mal placé pour le faire ? On verrait bien quelque Tunisien sortir un livre sur Aly Ben Ayed, Ridha Kalaï, Ali Riahi ou Saliha ; mais une vedette égyptienne, pourquoi ?... C'est la question qui ne peut ne pas frapper de prime abord les esprits en voyant ce Beau-Livre consacré à l'art et à la vie de Mohamed Abdelwaheb. Etrangement, la réponse se trouve dans les deux...hommes. Le premier, grande sommité de la musique arabe, n'a laissé personne indifférent dans les quatre coins du monde arabe. Le second, c'est-à-dire l'auteur, ressortissant de la Sorbonne, passionné d'arts et de littérature, dramaturge, écrivain et historien, a écrit sur le théâtre tunisien, sur Habiba Msika, et même sur le football tunisien. On lui doit Alexande Dumas à Tunis, Guy de Maupassant de Tunis à Kairouan, Chateaubriand devant les ruines de Carthage et bien d'autres ouvrages, dont des traductions de l'arabe au français. Comment donc s'étonner qu'il ait eu, lui le grand passionné des arts, ce faible pour un géant de la musique arabe ? Dans ce Beau-Livre, Moncef Charfeddine revient donc sur la vie et l'art de l'immensément grand Mohamed Abdelwaheb. S'appuyant sur des documents rares, des témoignages ou ses propres souvenirs, l'auteur nous brosse un portrait, peut-être pas exhaustif, mais assez riche de celui qu'on a de tout temps qualifié d'Emir du tarab et que lui, l'auteur, préfère qualifier de Fierté de la musique arabe. Nous ne dévoilerons pas dans son intégralité la teneur de l'ouvrage, mais nous nous arrêterons tout de même sur quelques passages fort édifiants. Nous ne savons pas, par exemple, que l'Emir, frappée par une maladie très méchante dès l'âge de...deux mois, avait failli y passer n'était le secours de la...Providence, justement ; à croire que cette dernière était déjà à ses côtés dès la naissance pour ne plus le lâcher sa vie durant. Peu nombreux, aussi, sont ceux qui savent que le maestro a eu de nombreux enfants, nés de trois lits différents. L'auteur rapporte ce mot de toute beauté dit par Abdelwaheb à propos de sa troisième femme, Nahla Al Qodouçi: «Jamais dans le noir, je n'ai vu tant de lumière, autant que dans le noir des yeux de Nahla». Inutile de préciser qu'en effet elle était très belle. C'est cette lumière, conjuguée avec la sienne propre, un don exceptionnel de la Providence, qui a illuminé la musique et la chanson arabes. Le grand Abdelwaheb a composé pour Najet Ali, Leïla Mourad, Raja Abda, Najet Saghira, Abdelhalim, Faïza Ahmed, Sabah, Warda El Jazaïrya, Chadia, Faïrouz, Oûm Kolthoum, Wadiê Essafi, Mohamed Tharwet et bien d'autres encore. Tout comme il a composé et chanté sur les paroles d'Ahmed Chawqi, Ahmed Rami, Ma'moun Chennaoui, Bachara Khouri, Hiçine Essayed, Kamel Chennaoui, Ali Mahmoud Taha, Ahmed Chefiq Kamel, Morsi Jamel Aziz... Mohamed Abdelwaheb a glané probablement le plus grand nombre d'insignes et de décorations dont on cite ici quelques-uns : Emblème du Nil attribué par le Roi Farouq en 1937, Disque Platine de la Sacem en 1978, Honoris Causa en 1975, Artiste d'envergure internationale, titre décrété par la même Sacem en 1989 ; un musée à l'Avenue Ramsès perpétue son nom au Caire; et le prix londonien Albert Hall en 1988. Mais ce n'est là qu'un survol de la vie et de l'œuvre du phénoménal Mohamed Abdelwaheb ; il faudrait lire cet ouvrage pour en prendre la juste mesure, ou à peu près. Où trouver ce Beau-Livre ?... Là, c'est le hic. Car le livre a été financé par la Prosid, Société des Produits Sidérurgiques, qui peut en offrir quelques exemplaires. Pour peu que du mécénat elle passe à la vocation ‘‘caritative''...