Voilà plus d'une année que le parti Ennahdha, incontestable vainqueur des élections du 23 octobre 2011, a pris ses quartiers au sein d'un gouvernement chargé d'expédier les affaires courantes jusqu'à la fin de la rédaction de la nouvelle Constitution et l'organisation des prochaines élections. Depuis, sondages, médias et opposition ont fait état d'un fléchissement de l'engouement populaire envers ce parti. A travers la manifestation populaire d'hier qui a réuni des militants islamistes venus de toute la Tunisie, les faucons du parti Ennahdha ont voulu se refaire une santé et prouver que le parti dispose encore d'une base populaire solide ancrée dans tous les gouvernorats. «Pour ceux qui disent qu'Ennahdha ne dispose plus d'une légitimité populaire, voyez tous ceux qui sont venus aujourd'hui», scande Rached Ghannouchi aux militants. Sur le podium, où se sont succédé un certain nombre de personnalités du parti ou proches du parti Ennahdha, le discours était bien rôdé et bien pensé pour encadrer les militants. Le principal message a été certainement ce que les orateurs ont appelé «la défense de la légitimité», une défense qui passe par un refus net et catégorique d'un gouvernement de technocrates tel que proposé par le chef du gouvernement et secrétaire général du mouvement, Hamadi Jebali. D'ailleurs, Rached Ghannouchi, dans sa longue intervention, n'a pas manqué de rappeler Hamadi Jebali à l'ordre en des mots à peine voilés et sans le nommer, et ce, en rappelant que «c'est la machine du parti qui fait la grandeur d'une personne, s'il quitte, il reviendra à sa taille réelle». «Un gouvernement de technocrates et une forme de dépassement de la légalité et de la légitimité qui a été acquise lors des dernières élections», explique le «cheikh». La légitimité a été sans aucun doute le mot le plus utilisé par les différents intervenants, à l'instar de Ameur Laârayedh qui a ouvert les joutes oratoires en insistant sur le fait que «la légitimité électorale est la mère de toutes les légitimités». Les médias, éternel bouc émissaire Comme toute manifestation du parti Ennahdha, on se défoule bien évidemment sur les médias, accusés de tous les maux, à coups de slogans et de discours. A la tête de ces accusations figure la partialité des médias «mauves» qui n'arrêtent pas de critiquer le gouvernement et à donner la parole à ceux qui n'ont pas de légitimité électorale. Dans ce cadre, Habib Ellouze, constituant et membre du bureau politique d'Ennahdha, invite les journalistes à «plus de professionnalisme et d'impartialité». Ils ont aussi été accusés par Rached Ghannouchi de véhiculer une mauvaise image du parti, et de cultiver l'idée reçue d'un parti obscurantiste et passéiste. Selon Béchir Belhassen, prédicateur proche du mouvement et connu par ses nombreuses déclarations qui font controverse, il faudrait encourager et appuyer ce qu'il a appelé «les médias alternatifs» dont une liste a été dressée dans plusieurs pancartes portées par les manifestants. L'unité nationale et le refus de la violence Parfois contradictoires, les discours appelaient néanmoins à l'unité nationale, et au refus de la violence, quelle que soit son origine. «Nous sommes contre tout appel à la division, nous sommes pour l'unité nationale», Habib Ellouz le dit clairement au début de son intervention. Une unité nationale certes, mais uniquement avec «les partis qui ont contribué à la révolution ou issus de la révolution», comme l'explique Rached Ghannouchi qui précise que le mouvement Ennahdha n'a aucune intention d'imposer un quelconque modèle de société aux Tunisiens et que la liberté individuelle sera respectée. «Ni voile ni prière ne peuvent être imposés et d'ailleurs, les imposer les videraient de leur sens», explique Rached Ghannouchi dans un discours de 25 minutes tantôt rassurant tantôt menaçant, dans lequel il prétend que le parti Ennahdha «est la colonne vertébrale du pays» et que «personne n'a intérêt à ce que le parti se divise et chute car cela entraînerait forcément une perturbation dans le pays». Bien que l'unité nationale ait été à plusieurs reprises évoquée, les différents orateurs ont mis en garde contre un retour en arrière et le retour au RCD. Slogans et discours n'ont pas omis de signaler qu'il est nécessaire de «protéger la révolution» en excluant les dirigeants de l'ancien régime. D'ailleurs, Mehrezia Laâbidi, vice-présidente de l'Assemblée nationale constituante, répète sans gêne le début d'un slogan clairement hostile au parti du vieux routard Béji Caïd Essebsi. Les discours ont donc voulu être rassembleurs, surtout des tendances islamistes de tout le pays, en leur disant que malgré leurs différences, ils demeurent porteurs des mêmes valeurs et des mêmes projets.