L'Institut de La Rachidia, «version post-révolution» (nouveau bureau élu, nouveaux programmes, nouvelle direction, nouvelles orientations) poursuit sa série de concerts prévus pour l'année 2013. Deux de proposés déjà, le 25 janvier dernier avec «Farha» de l'ensemble «Ranim», en hommage à Kaddour Srarfi (Théâtre de la Ville de Tunis) et le 8 février, à son local même, avec le passage de la troupe de malouf de Bizerte. L'idée force, prônée par Mourad Sakli et ses collaborateurs du comité directeur, de recourir à des ensembles divers au lieu de la traditionnelle «troupe maison», se met résolument en marche. Si elle permet d'éviter les conflits et les complications d'ordre professionnel qui ont quasiment bloqué les activités musicales de l'Institut lors des deux dernières saisons, il n'y a pas de doute là-dessus. Si la formule va contenter tout le monde et donner les résultats que l'on escompte d'elle, cela reste toujours à discuter. Nous y reviendrons sûrement, le moment venu. Bonnes feuilles Le troisième concert de la série (v. encadré) avait eu lieu, lui, vendredi, à la Bonbonnière. Il était confié à Fathi Zghonda et à un «takht» de douze instrumentistes et de dix choristes, plus une invitée de marque, l'excellentissime Chahrazed Hellal. Intitulée : «Anbar Ellil», en référence à une pièce «btaïhi» de la très classique «Nouba isbahan» tirée de notre répertoire de malouf d'origine andalouse. «La Nouba isbahan» et la pièce-même «Anbar Ellil» ont d'ailleurs inauguré la soirée, précédées comme c'est règle et coutume, par les courts instrumentaux «d'istiftah» et de «msadder» et par la toujours belle entame vocale des abiets (poésie littérale chantée). Le choix de «l'isbahan», mode empreint de gravité, de majesté, ne pouvait que plaire aux mélomanes présents qui étaient, comme à leur habitude, nombreux, attentifs, réceptifs. Mais le reste du public, d'abord «clairsemé», occupant ensuite l'essentiel de la salle et les balcons, y aura visiblement bien répondu. Le malouf est décidément ancré dans la mémoire et le cœur des Tunisiens. Et quand il s'invite à travers ses œuvres monumentales (telle la suite isbahan interprétée vendredi) où se conjuguent miraculeusement simplicité et beauté, l'effet est encore plus général et plus prégnant. Pour tout dire, on s'est régalé. Des abiets jusqu'au draj final, percutant, incisif, enflammé. La Nouba tunisienne est construite sur une intelligente progression rythmique. On avance du plus lent au plus vif. On alterne les tempos aussi. De sorte que l'on a fait le tour complet des sensations et des sentiments. «Les récalcitrants», qui n'arrêtent pas d'accuser le malouf d'être «une musique monotone et assoupie», devraient y regarder de plus près, ils changeront très probablement d'avis. Chahrazed Hellal : un moment ! Autre morceau, également apprécié lors du concert. Le «fondou» (patrimoine inédit), «Ya khil salem». «Ya khil salem» est une mélodie répétitive sans doute en raison de son texte qui raconte un deuil lancinant. Mais cette chanson a perduré grâce au génie de Saliha. Nulle autre qu'elle n'a su en exprimer mieux l'émotion. Dans les années 60, toutefois, Salah El Mehdi et Ben Algia eurent la bonne idée de l'enregistrer à partir de la chorale de l'Ertt, avec une répartition habile des voix (masculines et féminines). Un chant à l'unisson «aménagé», devenu une référence depuis. Fathi Zghonda a opté pour cette version. Bien lui en prit car le chant collectif où se relayaient «l'aigu» des filles, «le médium» et «le grave» des garçons a conféré du «punch» à l'interprétation, a comme tempéré la répétitivité de la chanson. Mais les meilleurs moments, les vraies saveurs de la soirée, nous les dûmes sans conteste à Chahrazed Hellal (l'invitée d'honneur) et, en grande partie, à l'épilogue, suite de patrimoine : «Ya magouani» (Tarnane si l'on ne s'abuse) suivie de «Wadaaouni Labnet» et une succession «affriolante, toute en saveur», de «brawels» «Mhaïer Sika», «Ma saba akli» tout particulièrement. Chahrazed Hellal a été parfaite dans «Frag Ghzali» et «Foug Echchajra». Cette jeune chanteuse nous comble à chaque fois. Elle maîtrise «le charqi» avec le savoir et le savoir-faire des cantatrices d'Orient. Et là, elle nous laisse sans réaction, en abordant avec aisance et inspiration, les plus subtiles intonations du «Tounsi». Chapeau! Petits bémols Tout, évidemment, n'a pas été comme on l'aurait voulu. Il y a eu de petits «bémols» par-ci et par-là. Le volume orchestral d'abord. Le malouf est certes meilleur dans les ensembles réduits, mais à la condition que le plus petit nombre corresponde à la présence cumulée de bons solistes. Ce n'était pas tout à fait le cas avec ce concert «Anbar Ellil». Il y avait un dénivellement au plan instrumental dans l'interprétation. Par moments, cela a beaucoup affaibli la sonorité. La Nouba «Isbahan» exigeait, ensuite, de l'amplitude vocale. En raison de sa solennité et de son «style grave». La chorale n'était pas toujours dans cet esprit. Comme un décalage d'expression. On eût pu se dispenser, enfin, des «maazoufet» (Joudhour de Anis Klibi, et la «loungua» de Fathi Zghonda), non pas que celles-ci n'avaient pas de qualité, bien au contraire, mais parce qu'elles tranchaient un peu trop avec la thématique rachidienne. Classique tunisien avant tout. Rachidia : le programme 2013 Concerts Au Théâtre municipal 29 mars : «Mina Ennawa» : Ensemble Lassaâd Zouari 19 avril : «Asbahan» : Ensemble Abdelkrim S'habou 31 mai : «Samaâ Tounsi» : Ensemble Slim Baccouche 7 juin : «A Tahar Gharsa» : Ensemble Ziad Gharsa 25 octobre : Hommage à Ziriab : Ensemble Sonia M'barek Au siège de l'institut 1er mars : Malouf-Le Kef 5 avril : Malouf : Ensemble Bachref (du Japon) 17 mai : Malouf : Testour 21 juin : Malouf : Ensemble de l'école de la Rachidia