Symbole d'une mère patrie à l'histoire compliquée et douloureuse, et qui n'a pas toujours été conciliante avec ses enfants, le personnage central du film algérien Yema, en lice pour l'étalon de Yennenga, est la clé de lecture de toute l'œuvre. Même si, cette année encore, la question se pose quant aux critères de sélection des films en compétition au Fespaco, de bonnes surprises sont au rendez-vous. Parmi 19 œuvres à la qualité très inégale, on retrouve des films à l'image télévisuelle et au traitement superficiel, autant que des films épurés, magnifiquement tournés et très profonds de sens. C'est le cas de Yema de l'Algérienne Djamila Sahraoui, qui s'attaque dans ce deuxième long-métrage de fiction après Barakat, au sujet épineux de l'islamisme dans son pays. Il s'agit dans ce film d'une mère, Yema, qui fait le deuil de son fils, un policier assassiné par les islamistes, tout en refusant le pardon à son autre fils, un Mujahid qu'elle accuse d'avoir participé au meurtre de son frère. Tel un arbre millénaire, Yema s'accroche à ses racines, à sa terre. Elle cultive son havre de paix planqué dans la montagne entre deux camps ennemis. C'est que sa semence est partie avec le vent. Mais elle se donne une nouvelle chance de vie. Djamila Sahraoui est troublante par la justesse de son jeu dans le rôle principal du film, face aux autres acteurs masculins. Dans la réalisation comme dans l'histoire, c'est elle qui décide où ils ont le droit d'aller et quand ils le peuvent. Elle marque son territoire, qu'elle veut protéger de la folie des hommes. Dans le même temps, ce n'est pas un terrain neutre. Tout élément qui vient de l'extérieur ne peut être intégré que s'il est porteur de vie et d'espoir ou après être passé par une rédemption. Nous sommes dans un cycle de renouvellement. Pour délimiter ce territoire, Djamila Sahraoui compose l'image de son film comme un plan, avec des lignes raides, des pentes et des formes géométriques basiques. Un jeu d'ombre et de lumière vient accentuer la symbolique des objets filmés à l'écran : une maison, un puits, une terre fertile, etc. Elle peint l'image aux couleurs des quatre éléments. La palette des tons et des couleurs est maniée de façon à opposer la vie et la mort, l'amour et la haine. Dans son écriture, la réalisatrice n'est ni dans la retenue, ni dans l'excès. Autant que les silences, chaque mot a son poids, ajoute une information ou attise une émotion. La lenteur et la longueur de certaines séquences, comme celles où elle travaille la terre, avec insistance et acharnement, indique qu'il y a un processus qui se met en place, qui demande de la patience et du temps, beaucoup de temps. Seul un tel effort donnera les bons fruits. Et quand ils tombent entre les mauvaises mains, le vent se lève. Mère nature est mécontente et elle réagit. C'est la sélection naturelle. Tout n'est pas perdu pour cette « Yema courage ». Elle a compris que l'on récolte ce que l'on sème et que rien n'est facile. Après le deuil vient la naissance, après la douleur vient la joie, mais il faut avoir la force de continuer et de laisser la vie triompher. Djamila Sahraoui est, quant à elle, bien partie pour remporter l'un des trois étalons de Yennenga. Elle a tout de même une sérieuse concurrence, devant notamment les films sénégalais La pirogue de Moussa Touré, Tanit d'Or aux JCC 2012 et Aujourd'hui d'Alain Gomis. Bientôt la révélation des grands gagnants.