Dominique Wolton, directeur de l'Institut des sciences de la communication du CNRS (Paris), est l'auteur d'une trentaine d'ouvrages traduits en vingt langues, parmi lesquels : Penser la communication, Informer n'est pas communiquer, Internet et après, Eloge du grand public, L'autre mondialisation, Indisciplinés. Toujours à contre-courant des idéologies du moment, ses recherches prônent une conception originale de la communication qui privilégie l'homme plutôt que la technique. Il a été invité à la fin de la semaine passée par l'Institut de recherche sur le Maghreb contemporain et l'Institut français de coopération, pour animer deux conférences-débat à Tunis, «Diversité culturelle et mondialisation» et «La communication ? Paix et guerre au XXIe siècle». Nous avons profité de sa présence pour lui poser ces quelques questions. «Informer n'est pas communiquer », soutenez-vous régulièrement dans vos conférences. Comment expliquez-vous que la multiplicité des tuyaux d'information n'aient pas facilité la communication humaine et sociale de ce XXIe siècle ? Il y a paradoxe. On pensait tous — de bonne foi, d'ailleurs —que plus il y aurait de tuyaux, plus il y aurait de diversité. Finalement, les gens disent la même chose, malgré la multiplicité des tuyaux. En fait, le champ de l'information ne s'élargit pas pour autant. C'est une déception, mais ce n'est pas définitif. On passe par un mauvais moment. Les médias évoluent dans un climat de concurrence. Les chaînes d'information semblent impitoyables entre elles. Elles cherchent l'évènement : pas de perspective, pas de comparatif, pas d'histoire dans le traitement de l'information. Le résultat n'est pas bon pour l'instant. On presse et stresse le citoyen: «Ne quittez pas l'antenne. On vous retrouve après la pub!». Il va falloir réfléchir à comment sauver l'information aujourd'hui ; un vrai enjeu politique pour la mondialisation. Puisque tout le monde peut accéder à tout, il faudra que tout le monde retrouve un maximum de contenus. Qu'est-ce qui va plus vite à votre avis, l'information ou la communication ? L'information. Car l'information incarne le message, par la voix, le texte, la télé ou l'ordinateur, qui va plus vite que la communication, celle-ci tournant autour du récepteur, donc de la relation avec l'autre. Or, il ne suffit pas d'informer, de transmettre ou d'interagir pour se comprendre. Le drame, c'est que l'émetteur n'est presque jamais en phase avec le récepteur. Par ailleurs, plus il y a de performances techniques, plus la résistance des récepteurs s'installe. L'information est compliquée. En réalité ce qu'on adore derrière l'information, c'est la rumeur ! Les hommes sont fous : ils voulaient une information démocratique, publique, accessible. Ils l'ont. Et maintenant ce qui marche le mieux, c'est le secret. La «peapolisation des médias» ? Si les gens n'en voulaient pas, elle n'aurait pas autant d'audience. Comment apprendre à mieux communiquer ? En étant le plus honnête possible. En respectant le récepteur et en le prenant pour intelligent. La communication est une épreuve. Toujours. Et c'est un acte de confiance à l'égard de l'autre. Avec le règne de la suspicion et la multiplication du volume de l'intox, comment communiquer en période d'exception comme une révolution ? Il faut garder tout son sang froid et rester sobre. Arrêter l'excitation : « C'est fini. Rien ne va plus ». Avoir de la mémoire quand même et faire confiance à l'intelligence du récepteur. Il ne faut pas le saturer, surtout quand les évènements s'étalent sur le temps comme dans une révolution. Jouer plutôt les longues durées et ne pas s'imaginer que dans trois mois ou six mois tout rentrera dans l'ordre. Tant qu'il n'y a pas de guerre, la politique rebondit toujours. C'est le processus même des transitions démocratiques qui le dicte. La pire des choses, qui pourrait arriver en ces périodes-là, c'est l'hystérie médiatique. Les gens en auront marre. Ils n'y croiront plus. A ce moment, il y aura toujours quelqu'un qui ramassera la mise... Les hommes politiques savent-ils communiquer ? Ils n'ont pas une grande marge de manœuvre les hommes politiques. Parce qu'ils sont à la fois sous le contrôle des médias et du regard de plus en plus sévère des opinions publiques à travers les sondages. Ils savent d'autant mieux communiquer qu'ils sont honnêtes, modestes et précis. Maintenant, il n'y a pas de technique. A chacun son style : on est comme on est, on parle comme on peut. C'est le respect du téléspectateur ou de l'auditeur qui fait la différence. La confiance s'établit notamment quand l'homme politique est capable de dire la vérité le plus possible dans un minimum de langue de bois possible. La politique réside toujours dans un exercice d'explication et de mise en perspective. Vous dites qu'Internet est une poubelle à information et à rumeur. Pourquoi ? Parce que personne ne contrôle rien! Ce n'est pas parce que les gens s'y expriment en racontant leur vie, qu'ils disent vrai ! C'est une espèce d'illusion que de confondre la puissance technique du réseau avec la qualité de son contenu. L'expression n'est pas l'information ! Nous avons plus que jamais besoin de métiers intermédiaires comme celui des journalistes pour vérifier et filtrer ce qui se passe sur la toile. Les journalistes devraient valoriser leur profession et être les premiers à se méfier d'Internet. Pourtant, ils ne le font guère, reprenant le discours classique de la « Révolution Internet ». Finalement ce qui compte ce n'est pas Internet, mais ce qu'ont font les hommes : quel projet d'éducation, quel projet démocratique, quel projet de dialogue de cultures ? Entre les journalistes tunisiens et le gouvernement actuel s'est installé au gré de ces derniers mois un bras de fer. Les journalistes cherchant à s'émanciper des pressions politiques, qui ont écrasé leur métier durant les 50 dernières années de dictature et les autorités politiques voulant accaparer tous les pouvoirs. Les choses se passent-elles ainsi partout dans le monde ? En effet. La presse a toujours constitué un contre pouvoir. Il faut qu'elle le reste d'ailleurs! Il ne faut pas qu'elle ait trop d'accointances avec le pouvoir. C'est un métier austère, celui des journalistes. Ce n'est pas évident que de tenir cette position intermédiaire : n'être ni du côté du pouvoir, ni du côté du peuple. Notamment avec la multiplication des médias. Cela consiste à s'armer d'une certaine valeur d'honnêteté. La légitimité des journalistes ne tient-elle pas d'ailleurs dans la confiance que le public a à leur égard ? Il faudra conserver ce capital de confiance. Tout en résistant à toutes les sirènes du pouvoir et de la démagogie. Je sais, ce n'est pas facile d'être journaliste ! Pourtant, dans votre dernier ouvrage, Indiscipliné (Odile Jacob, 2012), vous reprochez aux journalistes d'évoluer «dans un milieu fermé qui n'aime pas être observé de l'extérieur, sauf pour une durée assez brève», écriviez-vous... Je suis hyper favorable aux journalistes. Mais l'oligarchie (française) de ce métier, qui passe son temps à attaquer tout le monde, ne supporte pas la critique. Contrairement à la classe moyenne des journalistes, l'oligarchie est très vaniteuse, probablement à force de fréquenter le pouvoir... En succombant un peu trop à l'idéologie d'Internet, les journalistes fournissent des verges aux autres pour se faire battre. Les gens ont, alors, le sentiment qu'on n'a plus besoin de ce métier, alors que bien au contraire : plus on a d'informations, plus on a besoin de journalistes !