Lors du symposium sur « l'indépendance de la justice en Tunisie à la veille de l'adoption de la Constitution » organisé par le Pnud avec le soutien de l'Union européenne, les 13 et 14 mars, une des questions ayant le plus marqué les débats, est celle de la composition du Conseil supérieur du pouvoir juridictionnel. La composition, encore et toujours La commission des juridictions au sein de l'ANC présidée par le doyen Fadhel Moussa, avait fait le choix de proposer un texte stipulant que seule la moitié du Conseil supérieur du pouvoir juridictionnel sera composée de magistrats, ce qui fait froncer les sourcils du côté des magistrats qui estiment que cette option diminue sensiblement le rôle des magistrats dans l'organisation de leur profession et attise la crainte de nominations politiques ou de spéculations partisanes. « Cette disposition est en deça des normes internationales en la matière, qui recommandent que dans un tel conseil il y ait une moitié de magistrats élus », estime Anis Hmadi, de l'Association des magistrats tunisiens (AMT), insinuant ainsi que si la moitié des magistrats devrait être élue, l'autre moitié devrait nécessairement comporter un certain nombre de magistrats. L'Ordre national des avocats propose à cet effet de réviser cette disposition de façon à ce que le Conseil supérieur du pouvoir juridictionnel soit composé de magistrats dans une proportion des deux tiers et le reste réservé à des non-magistrats mais reconnus pour leurs compétences dans le domaine judiciaire. L'apparence d'indépendance « La commission que je préside reste ouverte à toute les propositions, il ne s'agit là que d'un brouillon de projet qu'il est possible de réviser à chaque fois que cela s'avère nécessaire », c'est en ces mots que Fadhel Moussa a entamé son intervention dans laquelle il a souligné les points forts des textes du projet de Constitution qui traitent de la justice. Se défendant des critiques formulées par certains qui brandissent les normes internationales pour évaluer les textes de la Constitution, il explique que ceux-ci sont à contenus variables et peuvent ainsi supporter certaines dérogations qui ne touchent pas nécessairement l'esprit des normes internationales. Pour le doyen, les textes proposés offrent dans leur globalité une apparence d'indépendance, c'est-à-dire une indépendance dans les textes juridiques, chose qui devra être complétée par une attitude émancipatrice du juge afin de garantir une justice réellement indépendante et impartiale. Il cite en exemple l'article 104 qui fait référence au droit de tout citoyen à un procès équitable, ainsi que l'article 116 qui criminalise toute ingérence dans les affaires de la justice. D'un autre côté, Fadhel Moussa se félicite que le projet de la Constitution ait assuré l'autonomie administrative et financière du Conseil du pouvoir juridictionnel qui défend son budget devant l'Assemblée nationale. Autre fierté que ne manque pas de souligner le président de la commission des juridictions, c'est sans doute celle de l'article 103 qui assure au juge l'inamovibilité, une disposition tant attendue par les magistrats qui ont beaucoup souffert des mutations abusives, qu'ils subissaient sous l'ancien régime, en guise de représailles. Soulignant le progrès qui a été réalisé par rapport à la Constitution de 1959, Salsabil Kelibi, professeur à la faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de l'Université de Tunis, observe que les termes indépendance et impartialité sont intimement liés, de sorte qu'un juge ne peut prétendre à l'impartialité sans qu'il soit doté d'instruments qui assurent son indépendance. Elle estime également que certains textes restent flous et peuvent facilement être détournés, comme le renvoi à la loi en ce qui concerne l'inamovibilité des juges, qui finalement vide l'article de son contenu. « Dans une Tunisie où la démocratie ne s'est pas véritablement installée, je prône une Constitution qui n'hésiterait pas à rentrer dans les détails afin d'éviter tout équivoque », continue-t-elle. Un bon texte, mais... Les magistrats semblent grosso modo satisfaits des textes relatifs au pouvoir juridictionnel dans le brouillon de la nouvelle Constitution, mais certaines dispositions, outre la question de la composition du Conseil du pouvoir juridictionnel, sont critiquées. La question de la justice militaire par exemple, est traitée avec une certaine méfiance, du fait que cette justice pourrait être utilisée de façon abusive, surtout que celle-ci ne peut être objectivement indépendante vu que les juges sont soumis à la hiérarchie militaire. Dans ce sens, l'Association des magistrats tunisiens invite les députés à « limiter le plus possible les compétences du tribunal militaire afin qu'il ne soit saisi que dans les procès dans lesquels un militaire est impliqué ». L'Association recommande aussi que la police judiciaire soit rattachée au pouvoir juridictionnel ainsi que la nécessité de légiférer sur la non-exécution des sentences prononcées à l'encontre des pouvoirs publics, chose très fréquente à l'époque de Ben Ali. Comme l'a si bien souligné Fadhel Moussa, le texte ne peut que donner l'apparence d'une indépendance, mais comme dans tous les autres secteurs, le défi majeur reste celui de faire marcher le bébé.