Le pouvoir judiciaire tel que consacré par la nouvelle constitution est-il suffisamment à la mesure des normes internationales ? Rappelons que dans tous les régimes démocratiques selon lesquels les droits des citoyens sont sacrés, ce pouvoir est l'un des constituants de l'Etat. Ce pouvoir a été consacré par toutes les constitutions tunisiennes, qu'il s'agisse de celle de 1857, ou de 1959, date à laquelle la Tunisie a recouvré sa souveraineté. On parle de pouvoir judiciaire (ou d'autorité ce judiciaire comme c'est le cas dans la constitution française de la 5ème république) dans son sens organique pour désigner les tribunaux, ainsi que dans son sens fonctionnel, désignant la faculté qu'ont les magistrats de trancher les litiges. D'où l'importance de consacrer par des mécanismes de nature à abolir tout ascendant sur les décisions des tribunaux, afin de mieux garantir l'indépendance de la magistrature. Cette question a été débattue au cours de la conférence de presse organisée hier au palais de Justice par l'Association des Magistrats tunisiens, et à laquelle ont assisté des représentants de médias écrits et audiovisuels ainsi que des magistrats, des avocats et des représentants d'association des droits de l'Homme. La présidente de l'AMT, Kalthoum Kennou, a en effet, fait remarquer que le chapitre relatif au pouvoir judiciaire n'a pas été bien conçu, avec les imperfections et les confusions qu'il comporte. Ces imperfections touchent à un certain nombre de points ayant pour fondement l'indépendance de la magistrature. Des garanties non évoquées dans la nouvelle constitution Kalthoum Kennou a surtout insisté sur le fait que selon le brouillon de la nouvelle constitution des garanties essentielles, de nature à consolider l'indépendance de la magistrature, ont été tues. Ce qui n'est point conforme aux normes internationales. -Il s'agit par exemple du principe de l'inamovibilité des juges. Selon ce principe, pour toute mutation, l'accord du juge concerné doit être requis. A moins que ce soit à la demande de l'intéressé, ou par mesure disciplinaire, laquelle doit répondre à des conditions établies à l'avance. -Il en va de même concernant la désignation des juges dont les procédés doivent être mentionnés dans la nouvelle constitution conformément aux normes internationales, afin d'éviter les abus de toutes sortes. -L'immunité judiciaire qui doit être consacrée dans le chapitre relatif au pouvoir judicaire, n'a pas été étayée de manière à lever toute équivoque sur ce point. Selon les normes internationales, l'immunité judiciaire est celle dont bénéficie le magistrat au cours de l'exercice de sa fonction, que ce soit au tribunal, ou en dehors de l'enceinte de la cour, dans les différentes missions dont il peut être chargé. Cette immunité s'étend aussi bien à ces actes qu'à ses écrits ou ses paroles, dans le cadre de l'exercice de sa fonction. Le tribunal militaire, tribunal spécialisé ou d'exception? L'organisation et la compétence des tribunaux font partie du pouvoir judicaire organique, lequel doit être conforme aux normes internationales afin de garantir une meilleure justice. Le tribunal militaire a existé depuis l'ère coloniale, et constituait un tribunal d'exception. A l'époque les militants condamnés à mort, l'avaient été par le tribunal militaire, dont notamment Mosbah Ejjarbouî, Ejarjar et tant d'autres. A l'aube de l'indépendance, le même tribunal condamné à mort certains membres du complot de 1962. Il s'agit donc d'un tribunal d'exception, à l'instar la cour de sûreté de l'Etat qui a été supprimé par Ben Ali. Les tribunaux spécialisés sont ceux qui connaissent les litiges dans des domaines spécialisés, tel que le tribunal de commerce ou le conseil des Prud'hommes qui jugent les litiges de travail. Kallthoum Kennou a fait remarquer à juste titre que le texte de la constitution relatif au tribunal militaire doit être remodelé dans ce sens, le tribunal doit être un tribunal d'exception , pour connaître uniquement des délits militaire. La composition du conseil supérieur de la magistrature Il était question de créer une instance supérieure pour l'indépendance de la Justice, projet mort-né, n'ayant jamais été adopté. Le brouillon de la nouvelle Constitution prévoit à la place un conseil du pouvoir judicaire. Kalthoum Kennou, présidente de l'AMT a fait remarquer sur ce point que ce nouveau conseil ne répond pas aux normes internationales, concernant sa composition, ni le mode de désignation de ses membres. En effet les membres élus représentent seulement le tiers, alors que la majorité sont désignés. Ces mécanismes ne garantissent en rien l'indépendance du pouvoir judiciaire. Le procureur de la République est-il indépendant ? Selon l'article 114 du brouillon de la Constitution, le procureur de la République n'est pas totalement indépendant, étant donné qu'il est sous la tutelle du pouvoir exécutif. Ce qui permet à ce dernier d'exercer son ascendant sur les magistrats et la Justice de manière générale, par son intermédiaire. C'est un héritage du système français, désuet et condamné d'ailleurs par la cour européenne de Justice à l'occasion de sa décision dans l'affaire « Le Moulin », a fait remarquer à juste titre Kelthoum Kennou. La cour constitutionnelle et la procédure de saisine C'est l'article 117 du brouillon de la Constitution qui est consacré à la cour constitutionnelle , et qui reste à parfaire, afin de préciser la compétence exacte de cette cour, dans le sens d'une meilleure garantie au citoyen, ainsi qu'une meilleure protection des acquis de la Révolution et des institutions de l'Etat. Kalthoum Kennou a conclu qu'il est important de conjuguer les efforts de toutes les associations des droits de l'Homme et des organisations professionnelles afin de consolider l'indépendance du pouvoir judiciaire un des piliers de l'Etat démocratique, où les doits et les libertés doivent être garantis. L'AMT a adressé une demande d'audience au président de la Constituante, pour lui exposer tous ces problèmes, qu'il est urgents de régler dans l'intérêt du peuple.