Encore une fois c'est le slogan «Qui a tué Belaïd ?» qui a été scandé le plus dans cette affaire d'assassinat qui a bouleversé le paysage politique en Tunisie. Plus de quatre mille personnes ont scandé, en chœur, ce slogan, hier vers 13h40, au départ de la marche de protestation organisée par le Front populaire. Une marche qui intervient en marge de la commémoration du 40e jour du décès de son leader Chokri Belaïd, assassiné le 6 février dernier par balles à bout portant, devant sa maison. Un peu plus tôt dans la matinée, vers 10h00, un premier groupe d'une trentaine de manifestants, en l'occurrence les jeunes du Parti des patriotes démocrates unifié (Ppdu), ont pris le chemin du cimetière du Jellaz brandissant drapeau national et portraits de Chokri Belaïd. On a remarqué les forces de l'ordre, omniprésentes au centre-ville, déjà positionnées dans les différentes artères qui mènent à l'avenue Bourguiba. Jusqu'à 13h00, quelque quatre mille personnes ont afflué vers le cimetière où on a récité la Fatiha à la mémoire du défunt en présence des membres de sa famille, entre autres son père Salah, son frère Abdelmajid et sa femme Basma Khalfaoui, ainsi que des membres des bureaux exécutifs du Front populaire et de la centrale syndicale, et de plusieurs personnalités nationales, dont des militants des droits de l'homme, juristes et artistes. Des centaines d'affiches, banderoles et pancartes ont été brandies par les protestataires, venus en famille et en groupes des différentes régions. «Chokri Belaïd est toujours dans nos cœurs et dans notre mémoire», «Laârayedh, démissionne», «Chokri repose en paix, nous continuerons la marche», «Les exploits du gouvernement: expédition des jeunes vers la mort, djihad+suicide», «Les balles assassinent les penseurs mais pas leurs pensées», tels sont les slogans qui ont été inscrits sur les pancartes et les banderoles. Plusieurs enfants ont endossé le drapeau national et porté un masque à l'effigie du défunt. D'autres ont mis des moustaches postiches; geste symbolique en la mémoire de Chokri Belaïd. Le drapeau national, ainsi que les bannières du Ppdu et du Front populaire étaient omniprésents, tout comme les portraits de Belaïd, dans la grande foule, qui a attendu jusqu'à 13h40 le départ de la marche. Depuis le cimetière jusqu'à l'avenue Bourguiba, en déambulant le long de l'avenue Carthage, la marche a connu une forte présence des patrouilles de sécurité intérieure, qui ont sillonné auparavant les rue parallèles pour assurer son bon déroulement. Sur le ton de la colère Dès leur départ du Jellaz, alors que des cordons humains constitués par les jeunes et moins jeunes du Front, les manifestants n'ont pas arrêté de scander des slogans accusant Ennahdha et son président Rached Ghannouchi du meurtre de Chokri Belaïd. «C'est sûr, Ghannouchi a tué Belaïd», «Si nous allons mourir, ce n'est pas avant de déloger Ennahdha de notre terre», «Terre, liberté, dignité nationale», «Le peuple tunisien, un peuple libre, ni l'Amérique, ni le Qatar», ont-ils crié fort sur le ton de la colère en entonnant de temps en temps l'hymne national et des chants engagés. Un camion, drapé des couleurs nationales, a été emprunté par des militants du Front pour lancer des discours virulents envers le gouvernement et Ennahdha. Engagé dans la foule, Mokhtar Trifi, président d'honneur de Ligue tunisienne de défense des droits de l'Homme, nous a affirmé que le comité de défense de feu Belaïd s'est réuni la matinée même avec des experts de droit international et des membres d'ONG pour étudier la possibilité de porter l'affaire devant les instances judiciaires internationales. Il a, de même, insisté sur l'impact d'une telle manifestation pour lutter contre la violence. Pour sa part, Saïda Garrach, avocate et militante féministe, a indiqué que cette même réunion de la matinée a été tenue pour voir les alternatives procédurales et juridiques au niveau des instances onusiennes et internationales pour ce dossier, tout en critiquant la manière dont on a procédé pour enquêter. Elle a affirmé que, vu les défaillances enregistrées dans les procédures, il y aurait une intention de camoufler les preuves, ce qui présage d'un verdict de non-lieu en l'absence des présomptions d'intention», a-t-elle ajouté. Quant à l'universitaire retraité Salah Horchani, il a indiqué que l'assassinat de Belaïd est un tournant dans la situation des libertés dans le monde arabe et non pas seulement en Tunisie. «C'est une marche digne d'un leader et d'un militant contre le fascisme vert. Hamma Hammami et Radhia Nasraoui ainsi que Basma Khalfaoui peuvent assurer une continuité en tant que leaders du Front», a-t-il ajouté. Vers 14h30, la marche est arrivée à l'Avenue Bourguiba où d'autres milliers de manifestants attendaient pour relancer la marche durant l'après-midi. D'autres petites foules se sont jointes à la marche lors de laquelle des chants et des poèmes ont glorifié le leader de gauche Chokri Belaïd.