Le pouvoir d'achat se détériore d'un jour à l'autre. Et les ménages sont de plus en plus nombreux à voir sombre. En effet, la lente érosion constatée depuis quelque temps se traduit aujourd'hui par un niveau d'inquiétude rarement atteint. Ces ménages considèrent que leur niveau de vie déjà en baisse va encore se dégrader dans les mois à venir. En s'attardant sur les raisons de l'impasse, on parle souvent de l'instabilité politique secouant le pays depuis la révolution. Mais, en réalité, les raisons sont diverses et multiples. Eclairage de l'économiste Mongi Smaili. Le pouvoir d'achat du Tunisien ne cesse de baisser. Certains observateurs et experts mettent en cause l'instabilité politique, la contrebande, les circuits de distribution, etc. En admettant que ces problèmes sont d'ordre conjoncturel, quelles seraient les défaillances d'ordre structurel ? Au préalable, il est important de définir la notion de pouvoir d'achat. Le pouvoir d'achat est la quantité moyenne de biens et services qu'un revenu permet d'acquérir. Ce n'est autre que le revenu réel. L'indicateur du pouvoir d'achat est mesuré comme étant le rapport entre l'indice des revenus et l'indice des prix. Par exemple, si le revenu passe de 100 à 105 et que l'indice des prix à la consommation augmente de 10%, le pouvoir d'achat passe à 95,45 (105/110 x 100), soit une détérioration du pouvoir d'achat de 4, 45%. Outre les prix, d'autres facteurs peuvent affecter le revenu et, par là même, toucher le pouvoir d'achat. Il s'agit principalement des impôts. Toute augmentation des impôts affecte négativement le pouvoir d'achat des ménages. En Tunisie, on ne cesse actuellement de parler de la détérioration du pouvoir d'achat et cela est principalement dû à la hausse des prix, d'une part, et à l'augmentation des taxes, d'autre part. Quelle est l'origine de cette hausse des prix ? Une partie peut être expliquée par l'augmentation de la masse monétaire suite à l'injection par la Banque Centrale de liquidités sur le marché monétaire. L'autre partie est liée à une certaine insuffisance de l'offre par rapport à la demande de biens et services. Cette insuffisance du côté de l'offre est essentiellement due au phénomène de contrebande : l'exportation illégale de produits tunisiens vers les pays frontaliers, en particulier la Libye. Et il n'en est pas moins vrai que le phénomène de spéculation y est, lui aussi, pour quelque chose : certains grands intervenants dans le circuit de distribution contrôlent, selon leurs propres intérêts, le stockage et l'écoulement des quantités à offrir. Le tout est aggravé par la dernière mesure concernant l'augmentation des prix des carburants, qui va inévitablement entraîner une augmentation des coûts de production et de transport et par là même, encore des augmentations de prix et, encore, une détérioration du pouvoir d'achat du consommateur. Il ne faut pas non plus oublier l'inflation importée, essentiellement attribuable à la dépréciation du dinar par rapport aux principales monnaies étrangères (dollar et euro). Pour creuser davantage, on pourrait également faire référence aux nouvelles créations d'emploi dans les administrations qui expliquent en partie l'augmentation de la demande qui a aiguisé les pressions inflationnistes. Du point de vue structurel, la détérioration du pouvoir d'achat s'explique par le fait que le modèle de croissance de l'économie tunisienne s'est basé sur la promotion des exportations intensives en main-d'œuvre peu qualifiée, donc des bas salaires. Ce modèle s'est soldé par l'aggravation d'un chômage structurel, affectant en particulier les jeunes diplômés. Quelles stratégies et quelles issues proposeriez-vous en tant qu'expert économiste pour le redressement de ce pouvoir d'achat? A court terme, pour maîtriser cette inflation et préserver le pouvoir d'achat du citoyen, il faut arrêter le fléau de contrebande et lutter contre la spéculation par le biais d'un meilleur contrôle des circuits de distribution. J'insiste, enfin, sur le rôle non moins responsable du consommateur lui-même : il est nécessaire que ce dernier apprenne à rationnaliser son comportement, à s'abstenir de se ruer massivement sur tout produit devenant rare ou dont le prix flambe et à patienter jusqu'à ce que les choses se régulent. A moyen et à long terme, la solution se trouve du côté de l'offre où il est impératif de redresser la productivité. Seule l'amélioration de la productivité est susceptible de réduire les coûts de production et, par conséquent, les prix. Cela ne peut se faire que par la conception d'un nouveau modèle de développement qui dépasse les insuffisances du modèle actuel. Chose que le gouvernement actuel ne peut pas faire parce qu'il n'est que transitoire. Cette tâche incombera au futur gouvernement, qui sera élu au lendemain de l'achèvement de la Constitution, pour une période de 4 ou 5 ans afin de mettre en œuvre le programme pour lequel il aura été élu. Le rôle de l'actuel gouvernement doit se limiter à rétablir la sécurité pour que la production et les investissements redémarrent normalement et de réduire son train de vie afin de ne pas aggraver le déficit budgétaire. Et surtout, préparer une feuille de route pour les élections prochaines. La Banque centrale vient de relever son taux d'intérêt directeur à 4%. Quels seraient les impacts économiques et sociaux de cette augmentation ? La conduite de la politique monétaire par la Banque centrale a atteint ses limites et n'a pas réussi à relancer suffisamment l'activité économique malgré les baisses successives du taux d'intérêt, étant donné que, de manière générale, le climat des affaires ne s'est pas amélioré. Par cette dernière augmentation du taux d'intérêt, on voit clairement que la Banque centrale se donne comme priorité de combattre l'inflation. Telle mesure va affecter négativement la demande : incitation à l'épargne et, par conséquent, baisse de la consommation, avec impact particulièrement nocif sur le pouvoir d'achat des ménages ayant contracté des crédits (une bonne partie des Tunisiens se sont endettés à moyen et long terme, notamment pour l'acquisition d'un logement, ce qui alourdira les montants de remboursement). De même, une telle mesure risque de ralentir la reprise de l'investissement et donc la relance de l'activité économique, caractérisée par un chômage élevé et dont la solution réside essentiellement dans la relance de l'investissement.