Une fumée épaisse se lève dans le ciel et envahit une partie de l'avenue Mohamed V, le quartier des affaires, du côté du croisement avec la rue de Ghana. Les passants pensant à un incendie pressent le pas tout en se couvrant le visage avec des mouchoirs ou des écharpes. Les automobilistes s'empressent de fermer les vitres de leurs véhicules pour ne pas humer la fumée dense qui se dégage de derrière une clôture de vieux arbres. Le site abrite un vieux terrain vague délabré couvert d'une montagne de déchets urbains (ménagers et de construction) diffusant une odeur nauséabonde insupportable. Renseignements pris, il ne s'agit pas d'une décharge sauvage qui aurait vu le jour après le 14 janvier 2011 comme tant d'autres. Le site est tout simplement le centre de transfert des déchets urbains de la ville de Tunis. Un centre bien gardé abritant un local administratif vétuste et des employés. Dans le système public de gestion des déchets urbains mis en place par les autorités de tutelle depuis des décennies, le centre de transfert des déchets constitue le point de rassemblement des déchets collectés dans les voies urbaines avant leur transport et leur transfert dans des bennes ou des camions vers la décharge contrôlée de Djebel Chékir, lieu du stockage final des déchets. Les employés du centre de transfert de la rue de Ghana, des pauvres gens qui gagnent difficilement leur pain, sont embarrassés: «Ce n'est pas un incendie volontaire», lance l'un d'eux. «Sous l'effet de la chaleur, les déchets organiques peuvent prendre feu spontanément», explique un autre. En effet, la fermentation des déchets organiques après un long stockage produit du gaz méthane, gaz à effet de serre, à l'origine du feu et parfois même provoquant des explosions au sein des décharges. Il faut faire bouger les choses ! Mais ce n'est pas toujours le cas. Les points de rejet des ordures comme les décharges connaissent une grande affluence de fouineurs, qu'on appelle aussi «barbachas». Des hommes, des femmes, voire des enfants qui, quotidiennement, fouillent à mains nues les poubelles et les amas d'ordures à la recherche qui d'un vieil appareil, débris de métal ou plastique à vendre, qui d'un vêtement usé ou chaussures à porter, qui des restes de nourriture pourris à se mettre sous la dent. Le centre de transfert de la rue de Ghana a, lui aussi, ses habitués fouineurs, mais pas seulement. «La nuit, des clochards et des sans-abris viennent pour s'y réfugier et pour boire de l'alcool ; parfois, involontairement, ils provoquent des incendies», ajoute encore l'un d'eux. D'aucuns n'ignorent pas que les points noirs ont proliféré dans les villes et quartiers même les plus riches et huppés de Tunis et autres villes. L'inertie institutionnelle et le laisser-aller général ont trop longtemps duré, plus de deux ans déjà, que l'on se demande si les communes et les autres institutions en charge du dossier de l'environnement urbain pourront un jour reprendre sans difficulté le dessus sur l'anarchie et l'incivisme et faire de nouveau régner l'ordre dans les cités ? Certes, il faut oser espérer que les communes reprendront du poil de la bête, notamment avec le nouveau matériel de nettoyage et de collecte des déchets livré récemment par la Turquie en vue de remplacer les engins détruits du temps des événements de 2011. Sur le terrain, il faut admettre que ces derniers jours, les choses commencent à bouger. Les bennes municipales se font de plus en plus présentes dans les quartiers et on entend de moins en moins parler de grèves dans les rangs des agents communaux surtout après la réouverture de la décharge contrôlée de Djebel Chékir. Mais cela suffira-t-il pour éradiquer les ordures du paysage urbain ? Il faut croire que la situation environnementale dans le pays a atteint un stade de dégradation tel que les communes ne pourront pas y remédier seules en dépit de toutes les aides financières et matérielles qui leur seront proposées. Selon une dépêche de la TAP, le directeur général de l'Anged aurait annoncé l'octroi d'une aide financière de 500 mille dinars pour chacune des municipalités relevant du Grand-Tunis afin de leur donner les moyens de multiplier les rondes de collecte des ordures et de s'attaquer aux points noirs qui ont fait leur apparition dans les gouvernorats de la capitale en procédant à la fermeture des décharges sauvages. Selon la même source, le directeur général de l'Anged a également laissé entendre que l'agence se prépare à accorder plus d'intérêt à la sensibilisation du grand public à la question de la pollution urbaine par les déchets et surtout à œuvrer pour promouvoir les métiers verts dans le recyclage du papier et du plastique et dans d'autres matières susceptibles d'être recyclés et réintroduites dans les circuit industriel. L'état de notre environnement urbain est une responsabilité qui incombe à chacun d'entre nous, autant aux communes qu'aux citoyens et aux autres institutions qui devront, elles aussi, mobiliser leurs agents pour nettoyer les forêts, les plages, les zones industrielles, les montagnes, les vallées, les barrages etc. Tous les ministères sont concernés par cette opération de nettoyage qui ne devra laisser aucune parcelle livrée à l'abandon. Un pays propre aujourd'hui est une idée qui peut paraître utopique mais si, ensemble, l'on vient à la concrétiser elle pourra marquer le début d'une prise de conscience générale de l'urgence de la situation et peut-être stimulera-t-elle les uns et les autres pour d'autres prises de conscience aussi urgentes.