Entre anecdotes, dites et jouées sur scène, la ravageuse China, avec la complicité des talentueux musiciens et du pianiste et arrangeur de son album Lemonnier, a bouffé la scène, avec sa voix puissante et pleine d'émotion. Hamza Zeramdini à la guitare, Omar Ouaer au clavier, Youssef Soltana à la batterie et Arnaud Meunier à la trompette, qui forment le groupe Sound Painting Project, étaient présents, jeudi dernier, sur la scène de Jazz à Carthage pour assurer la première partie du cinquième concert de ce festival qui se clôture aujourd'hui, dimanche 14 avril. «Nous sommes ravis d'être ici et même si on sait que vous êtes venus pour China Moses, on va jouer quand même», a lancé le guitariste en taquinant le public. Le groupe tunisien a revisité des titres en les enrobant de sonorités jazz, mais nous a également gratifiés de compositions signées Hamza Zeramdini, à l'instar de «In yourself» ou encore ce merveilleux titre qu'ils ont dédié à «notre grand'mère à tous, la Tunisie», comme l'a clamé ce dernier. L'épilogue de leur prestation intimiste fut une agréable surprise et l'auditoire a pu écouter autrement l'air tunisien «Baba Bahri», qui a épousé subtilement des rythmes jazzy. Un petit problème technique survenu avec la guitare à la fin de cette chanson a été vite rattrapé sous les applaudissements d'un public, visiblement conquis, et qui savait, surtout, que China Moses n'allait pas tarder à rejoindre la scène. Le blues raconté Le prélude du programme de cette star se fait acoustique et c'est le son grave de la contrebasse, domptée par Fabien Marcoz, celui de la batterie de Robert Ménière et les notes du piano de Raphael Lemonnier, qui sont venus les premiers à notre rencontre, avant que la ravageuse chanteuse ne fasse son entrée. Perchée sur de hauts talons dorés et vêtue d'une très élégante robe noire, elle entame un morceau écrit par la reine du blues Dinah Washington, une chanteuse qu'elle affectionne particulièrement et dont elle a fait l'objet, avec Raphael Lemonnier, d'un album, sorti en 2009 sous le label Blues Note, intitulé «This one for Dinah». Inondée d'applaudissements après une saisissante performance vocale, elle salue le public et précise que le répertoire intitulé «Crazy Blues» sera un hommage aux femmes qui ont influencé et qui ont été influencées par cette grande chanteuse. Son répertoire, elle aime le raconter aussi, parler du contexte des standards qu'elle interprète et réarrange avec Lemonnier, de leurs interprètes et des histoires qu'elles racontent. Et China, outre ses talents de vocaliste et sa splendide et puissante voix qui respire les rythmes blues, de s'avérer être aussi une agréable et charmante cantatrice, avec un incroyable sens de la chatche et de l'humour et avec une incroyable présence scénique. Elle sait raconter la musique et ce n'est pas pour rien que cette jeune femme, que certains ont connue, surtout, comme étant animatrice sur des chaînes télé française, aime se considérer comme une «conteuse d'histoires de jazz». Et en parlant d'histoire justement, le jazz et la scène sont chez elle aussi une histoire de famille. En effet, fille de la célèbre chanteuse de jazz américaine Dee Dee Bridgwater, elle tient son talent scénique de son père Gilbert Moses, le fondateur d'une des toutes premières compagnies de théâtre afro-américaines. Son amour pour le jazz et pour le blues a donc été nourri dès son enfance et c'est très tôt qu'elle a commencé à chantonner des standards qu'elle a découverts chez sa grand-mère, nous révèle-t-elle en mimant sa voix d'enfant, en train de chanter un morceau aux paroles salaces d'Esther Phillips, comme elle le note avec beaucoup d'humour. Entre anecdotes, dites et jouées sur scène, la ravageuse China, avec la complicité des talentueux musiciens et du pianiste et arrangeur de son album Lemonnier, a bouffé la scène, avec sa voix puissante et pleine d'émotion, avec des histoires drôlement coquines qui, comme elle le dit, font le charme du blues féminin et avec son sens du rythme et ses mouvements de danse qui respirent la joie. Elle nous a offert «My kitchen man», un standard de Bessie Smith qui parle d'une femme qui essaye de dissuader son amant-cuisinier de démissionner. Elle s'est attaquée à du Peggy Lee, ainsi qu'au standard de blues «I just wanna make love to you», rendu célèbre par la version d'Etta James et qu'elle illustre, dans son élan de narratrice, avec une situation drôle qui reflète tout en humour les paroles de cette chanson. Elle a, bien entendu, chanté du Dinah Washington avec son fameux titre «You're crying» qui parle de deux amants qui ne cessent de penser l'un à l'autre, elle a rendu hommage aux personnages masculins des chansons blues «qui ont secouru bien des femmes», lance-t-elle malicieusement, nous a parlé de la grande Mamie Smith et son morceau «Crazy Blues», enregistré dans les années 20 malgré les menaces racistes de mort. Pas une seule fois, le public n'a décollé, séduit par tant de talent et de présence, par tant d'humour et d'émotion et quand China Moses revient sur scène après la fin de son concert, ceux qui ont commencé à quitter la salle se sont empressés de reprendre leurs places pour se délecter d'un dernier moment passé avec cette charmante interprète aux multiples talents qui nous a gratifiés d'une saisissante reprise d'une autre grande femme, Janis Joplin. Merci China!