Réforme du système sécuritaire, tout le monde en parle, tout le monde s'y immisce. Mais personne n'en propose un plan d'action clair afin de résoudre les difficultés et de relever les défis qui se posent sur le double plan national et international. Quelles sont donc les réformes à entreprendre afin d'adapter le système sécuritaire à une scène politique et sociale qui a connu et connaît encore de profondes mutations ? C'est autour de cette problématique que se sont articulés les travaux d'une conférence de presse tenue, hier, à Tunis par la fondation Al-Majd des études stratégiques. Alaya Allani, spécialiste de la question islamiste et sécuritaire au Maghreb, a indiqué au fil de son intervention que le pays a besoin d'un nouveau système sécuritaire admettant à la base une vision globale des questions y afférentes. Cette vision élargie de la sécurité globale doit reposer, selon lui, sur trois axes majeurs. Il s'agit d'une meilleure coordination entre les différents corps sécuritaires (forces de l'ordre, douane et armée), de l'amélioration des conditions économiques et sociales du pays et de l'élaboration d'un système éducatif privilégiant la tolérance religieuse et l'ouverture sur l'autre. Abondant dans le même sens, il a fait remarquer que la sécurité globale reposait avant le printemps arabe sur la protection des gouvernants et pouvoirs politiques en place, la lutte contre les islamistes et le terrorisme sans chercher les causes rattachées à ce fléau. Cette sécurité globale était également marquée par l'absence d'une vision stratégique permettant d'établir des plans d'action prospectifs et adaptés à la réalité des terrains et des sociétés, alors qu'après les révolutions arabes, l'approche sécuritaire a connu l'émergence d'un nouveau facteur de taille qui est l'islamisme djihadiste. Tel est le cas de l'Egypte, de la Libye et de la Tunisie. Facteurs internes et autres externes Selon Alaya Allani, le système sécuritaire, tel que conçu par l'Islam politique, diffère de celui prôné par les politiques libérales et le reste des forces politiques. Avançant l'exemple d'Ennahdha, il a noté que la façon dont agit ce parti avec des salafistes ayant transgressé la loi laisse à désirer. «Les événements de l'ambassade américaine, du 9 avril et du 4 décembre, ainsi que les récentes nominations faites sur la base de l'allégeance politique au sein du ministère de l'Intérieur témoignent des failles dont souffre cette politique sécuritaire». Sur un autre plan, il rattache la fragilité sécuritaire dont souffre le pays à certains facteurs aussi bien internes qu'externes. Aux premiers, il associe l'absence d'une stratégie d'action propre à la période transitoire, et les fausses promesses des politiques et les divisions quant au modèle de société à adopter. Alors qu'il explique les seconds par les agitations secouant la Libye, le Mali et la Syrie. «Les djihadistes tunisiens partis combattre dans ces pays posent plusieurs problèmes. Comment traiter avec eux une fois revenus en Tunisie ? Quelles sont nos stratégies pour mieux les encadrer en maintenant les canaux du dialogue avec eux ? Ce sont les questions qu'il faut se poser et savoir y répondre», a-t-il ajouté. Comme le conçoit le même intervenant. Il faut dialoguer avec les djihadistes tunisiens revenus des zones de conflits en y associant des psychologues, des sociologues et des compétences religieuses modérées. «Cela peut contribuer à un meilleur encadrement de ces citoyens qui ont à un moment donné transgressé les lois et prix un faux chemin. Car en fin du compte, les extrémistes et terroristes sont pour la plupart d'entre eux, des marginaux, des pauvres et des illettrés. L'expérience algérienne prouve l'efficacité d'une démarche pareille : dans une localité du sud, 80% des extrémistes ayant été soutenus économiquement et socialement ont renoncé à la violence pour réintégrer la société en tant que citoyens productifs, utiles et respectueux de la loi». L'universitaire a, au demeurant, appelé à l'organisation d'une consultation nationale sur le système sécuritaire à adopter en Tunisie. Approche participative Revenant sur les réformes à engager afin de doter l'appareil sécuritaire des outils de travail qu'il faut pour exercer efficacement, le représentant du Syndicat des forces de sécurité intérieure qui participait aux travaux de cette conférence a attiré l'attention sur la nécessité d'adopter une démarche participative. Laquelle démarche doit inclure les professionnels du secteur et les hommes du terrain. «Ces gens connaissent mieux que quiconque la réalité, les difficultés et les enjeux liés à leur métier. D'ailleurs, leurs besoins sont unanimement reconnus aujourd'hui : des formations spécialisées, une meilleure protection qui soit garantie par des législations adaptées aux défis actuels, et une amélioration des conditions professionnelles et sociales», a-t-il affirmé. Se joignant à lui, un deuxième syndicaliste a appelé à l'organisation d'une journée nationale sur les circonstances dans lesquelles évolue l'agent de sécurité, à la création du Conseil supérieur de la sécurité et à l'amendement de certaines lois dépassées par les événements. «Les conditions précaires dans lesquelles évoluent les forces de l'ordre, à commencer par ceux évoluant sur les frontières, à savoir le manque de provisions alimentaires et l'indisponibilité de l'eau potable, résument à elles seules les difficultés auxquelles sont exposés ceux qui militent pour garantir la sécurité des Tunisiens et la souveraineté de la Tunisie», a-t-il conclu.